Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 634

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 111-112).
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634[1]. — À M. PITOT[2].
À Cirey, par Vassy en Champagne, ce 31 août.

Je n’avais pu lire à Paris, monsieur, le Mémoire de M, de Mairan, touchant les forces motrices, et plusieurs occupations étrangères aux mathématiques ont retardé encore dans ma retraite le plaisir de lire son ouvrage. Je l’ai enfin lu, et il me paraît comme à vous un chef-d’œuvre de raison, avec cette différence que vous l’avez lu en juge, et moi en écolier qui m’instruis.

M. de. Mairan, qui est des esprits les plus justes, des plus fins et des plus exacts, a très-bien démontré, en plus d’une façon, que la quantité de mouvement n’est jamais, au fond, que le produit de la vitesse par la masse.

Il semble que la découverte de la progression de la chute des corps par Galilée ait été le fondement de l’erreur où étaient MM. Leibnitz et Bernouilli. Tout se réduit donc à faire voir que, dans cette progression même, la force est en effet toujours la même, puisque d’instants en instants cette force agit uniformément. L’espace parcouru est, à la vérité, comme le carré du temps ou de la vitesse ; mais chaque partie infiniment petite de cet espace n’est que comme la vitesse et comme le temps. Par là, ce qu’il y avait de plus fort contre l’ancienne mécanique, qui n’admet dans la quantité du mouvement que le produit de la vitesse par la masse, se trouve suffisamment réfuté.

M. de Mairan a pris la chose de tous les côtés, sapiens et victor ubique. Il avait eu la bonté de me prêter, à Paris, son Mémoire, que je ne pus alors étudier. Je chargeai un jeune homme, nommé M. de Lamare, de le lui rendre. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien vous en informer à M. de Mairan, et de l’assurer de ma respectueuse estime.

Permettez-moi de vous parler ici de l’analogie que vous avez trouvée entre les surfaces des corps ; vous dites que leurs quantités sont en raison réciproque des surfaces de leurs côtés homologues. Vous en tirez surtout une observation très-utile que, s’il fallait douze chevaux pour tirer un bateau de vingt-cinq pieds de large, il faudrait cinq fois douze chevaux pour tirer cinq bateaux de cinq pieds de large. Il paraît qu’en tout vous tâchez de ramener les mathématiques à l’utilité des hommes.

Puisque lue voilà entrain, il faut encore, monsieur, que je vous importune sur une petite difficulté : Mme la marquise du Châtelet me faisait, il y a quelques jours, l’honneur de lire avec moi la Dioptrique de Descartes ; nous admirions tous deux la proportion qu’il dit avoir trouvée entre le sinus de l’angle d’incidence, et le sinus de l’angle de réflexion ; mais en même temps nous étions étonnés qu’il dît que les angles ne sont pas proportionnels, quoique les sinus le soient. Je n’y entends rien : je ne conçois pas que la mesure d’un angle soit proportionnelle, et que l’angle ne le soit pas. Oserai-je vous supplier d’éclairer sur cela mon ignorance !

J’ai une santé bien faible pour m’appliquer aux mathématiques ; je ne peux pas travailler une heure par jour sans souffrir beaucoup.

Informez-vous, je vous en prie, s’il est vrai que Snellius ait trouvé la proportion des sinus de réflexion avant Descartes, et si le Père Grimaldi a trouvé, avant Newton, les proportions des sons avec les diffractions des sept rayons primitifs : je doute fort de cette dernière allégation. Il va dans Paris des anecdotiers qui vous mettront au fait. Je vous aurai bien de l´obligation. Je suis, monsieur, avec une estime infinie, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. De l’Académie des sciences.