Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 617

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 93).
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617. — À M. DE CIDEVILLE.
Ce 2 juillet.

Mon cher ami, le ministère a été si indigné de cette abominable intrigue de la cabale qui faisait agir Jore qu’on a forcé ce misérable de donner un désistement pur et simple, et de rendre cette lettre arrachée à ma bonne foi. Cette maudite lettre faisait tout l’embarras : c’était une conviction que j’étais l’auteur des Lettres philosophiques. Rien n’était donc si dangereux que de gagner sa cause juridiquement contre Jore. Mais je vous avoue que, au milieu des remerciements que je dois à l’autorité, qui m’a si bien servi en cette occasion, j’ai un petit remords, comme citoyen, d’avoir obligation au pouvoir arbitraire ; cependant il m’a fait tant de mal qu’il faut bien permettre qu’il me fasse du bien, une fois en ma vie.

Je retourne bientôt à Cirey ; c’est là que mon cœur parlera au vôtre, et que je reprendrai ma forme naturelle. L’accablement des affaires a tué mon esprit pendant mon séjour à Paris. J’ai eu à essuyer des banqueroutes et des calomnies. Enfin, je n’ai perdu que de l’argent, et je pars dans deux ou trois jours, trop heureux, et ne connaissant plus de malheur que l’absence de mes amis. Mme de Bernières est-elle à Rouen ? Notre philosophe Formont y est-il ? Comment vont vos affaires domestiques, mon cher ami ? Êtes-vous aussi content que vous méritez de l’être ? Avez-vous le repos et le bien-être ? Adieu ; je serai heureux si vous l’êtes. V.