Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 575

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 48-49).
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575. — À MADEMOISELLE QUINAULT[1].

Vous me connaissez bien peu, discrète et ingénieuse Thalie. L’enfant que je vous ai fait m’est toujours cher ! Vous avez voulu qu’il parût dans le monde, et vous avez craint que je ne l’envoyasse pas à sa mère ! Vous avez grand tort : il est parti, et vous devez l’avoir[2]. Disposez-en ; mais je vous demande en grâce d’y laisser les petites plaisanteries que vous y trouverez ; que la supériorité de votre goût s’accommode un peu à la gaieté du parterre : il veut du plaisant plutôt que du fin. Enfin, voilà l’ouvrage tel que mes autres occupations m’ont permis de vous l’envoyer. Si vous voulez que je continue à travailler, ôtez-moi, je vous prie, le fardeau de la haine injuste d’un homme[3] qui me décrie par des libelles et dans toutes les sociétés où il se trouve ; d’un homme que je n’ai jamais offensé, et dans qui je respecte l’amitié que vous avez eue pour lui ; M. d’Argental vous en parlera. Ne me laissez pas ignorer, je vous en prie, les dispositions que vous ferez pour la pièce.

Il serait nécessaire, pour cent bonnes raisons, que le croquechenille n’eût plus son entrée : cela est essentiel, et cela dépend de votre prudence.

Je suis à vos pieds, aimable Thalie.

  1. Jeanne-Françoise Quinault, sœur de A.-A. Quinault-Dufresne (voyez lettre 257), connue sous le nom de Quinault cadette, et que Voltaire appelait Thalie, née vers 1701, débuta en juin 1718, se retira du théâtre en 1741, et mourut en janvier 1783. C’était chez elle que, sous le nom de Société du bout de banc', se réunissaient Voltaire, d’Alembert, d’Argental, Pont-de-Veyle, Destouches. Marivaux, Moncrif, Crébillon fils. Caylus, Voisenon, Duclos, Maurepas, le marquis d’Argenson, Mlle  de Lubert, etc. Nous reproduisons, d’après l’édition de 1822, le texte de ces lettres, qui jusqu’ici n’ont pas été insérées dans la Correspondance.
  2. Si, comme je le présume, c’était un manuscrit, la lettre, loin d’être de novembre, doit être bien antérieure au 10 octobre, jour de la première représentation, et peut-être des premiers jours de mars. (B.)
  3. Il s’agit probablement de Guyot de Merville.