Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 570

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 43-44).
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570. — Á M. THIERIOT.
4 mars.

J’ai été malade ; Mme  du Châtelet l’est à son tour. Je vous écris à la hâte au chevet de son lit, et c’est pour vous dire qu’on vous aime à Cirey autant que chez Plutus-Pollion[1] ; puis vous saurez qu’Alzire, la dédicace, le Discours, la pièce, corrigés jour et nuit, viennent par la poste. Tout cela est changé, comme une chrysalide qui vient de devenir papillon en une nuit. Vous direz que je me pille : car c’est ce que je viens d’écrire à M. d’Argental ; mais, quand Émilie est malade, je n’ai point d′imagination. Je viens de voir la feuille[2] de l’abbé Prévost ; je vous prie de l’assurer de mon amitié pour le reste de ma vie. Je lui écrirai assurément.

Comptez, mon cher ami, qu’il fallait une dédicace d’une honnête étendue. J’ose assurer que c’est la première chose adroite que j’aie faite de ma vie. Toutes les femmes qui se piquent de science et d’esprit seront pour nous, les autres s’intéresseront au moins à la gloire de leur sexe. Les académiciens des sciences seront flattés, les amateurs de l’antiquité retrouveront avec plaisir des traits de Cicéron et de Lucrèce. Enfin, morbleu, Émilie ordonne, obéissons.

Si la fin du Discours que je vous adresse ne vous plaît pas, je n’écris plus de ma vie.

Allons, voyons si nous serons sûrs d’un censeur. Mon cher ami, je vous recommande cette affaire ; elle est sérieuse pour moi : il s’agit d’Émilie et de vous.

Remerciez M. de Marivaux ; il fait un gros livre contre moi qui lui vaudra cent pistoles. Je fais la fortune de mes ennemis.

  1. Alexandre-Jean-Joseph Leriche de La Pouplinière, connu sous le nom de La Popelinière, fermier général et auteur, né en 1692, mort en janvier 1762 ; voyez la lettre que Voltaire lui écrivit le 15 février 1761. La Popelinière, que ses parasites et Voltaire lui-même appelaient Pollion, se permettait de corriger les vers de Voltaire. C’est pourquoi Voltaire le désigne quelquefois sous le nom de Tucca
  2. L’abbé Prùvost, qui, dans le n° cvii du Pour et Contre, avait fait un grand éloge d’Alzire et avait inséré la lettre de Voltaire aux comédiens français (voyez ci-dessus la lettre 529), ainsi que celle de Lefranc.