Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 549

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 15-16).
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549. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, le 22 janvier.

J’ai passé toute la journée, mon cher ami, à éplucher de la métaphysique, à corriger les Américains, à répéter une très-mauvaise comédie[1] de ma façon, que nous jouons à Cirey. (N. B. qu’Émilie est encore une actrice admirable.) Je finis ma journée en recevant votre épitre du 19. Mon cher Thieriot, que voulez-vous que je vous dise ? Je n’ai plus de termes pour vous exprimer combien je vous aime. Il faut répondre en bref. Je prie les comédiens de ne point prendre le double, et j’ai écrit déjà très-fortement sur cela à M. d’Argental.

Pour la jolie Dangeville, elle fait bien de l’honneur à l’Indiscret. Dites-lui, cher ami, que je la remercie de vouloir embellir de sa figure et de son action cette bagatelle. Si j’avais pu prévoir autrefois que ce rôle serait joué par elle, je l’aurais fait bien meilleur ; mais il faudra absolument retrancher beaucoup d’une très-longue scène du valet de l’indiscret et de Julie[2]. Cette scène est injouable, telle qu’elle est. Je ne vous ferai point aujourd’hui de dissertation sur l’opéra, parce que

Pluribus attentus, minor est ad singula sensus.

Vous pouvez me confier ce secret de plaire aux grands. Je l’embrasserai avec l’avidité d’un homme qui souhaite passionnément de rester dans un pays habité par Émilie et par vous. Dites-moi ce que c’est que ces deux lettres. Comptez que je n’abuserai pas de votre confiance. Vous pouvez hardiment tout dire à un homme qui se tairait dans Paris, et qui n’a personne avec qui bavarder ici. Encore un coup, confiez-moi hardiment un secret qui m’est important, à moins que vous ne me preniez pour le héros de la pièce[3] qu′a demandée la reine. J’ai lu les lettres de Pope[4] ; « sed plura at another time. I am yours for ever, and more vour friend than ever. »

  1. C’était très-probablement l’Enfant prodigue. (Cl.) — M. Avenel croit qu’il s’agit plutôt du Comte de Boursoufle.
  2. Il est question de Julie dans les scènes ii et xiii de l’Indiscret : mais ce nom n’est pas au nombre des porsonnages. La scène xi entre Hortense, Nèrine et Pasquin, n’a que douze vers dans toutes les éditions. (B.)
  3. L’Indiscret.
  4. L′Essai sur l’Homme, par Pope, est divisé en quatre épitres.