Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 534

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 572-573).
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534. — Á M. THIERIOT.
À Cirey. 17 décembre.

Vous êtes le plus aimable ami, le plus exact et le plus tendre qu’il y ait au monde. Vous écrivez aussi régulièrement qu’un homme d’affaires, et vous avez les sentiments d’une maîtresse. Par quel remerciement commencerai-je ? J’accepte d’abord le valet de chambre écrivain, pourvu qu’il ne soit ni dévot ni ivrogne, deux qualités également abominables. Il copiera toutes mes guenilles, que je corrige tous les jours, et que je vous destine. J’ai envoyé à MM. de Pont-de-Veyle et d’Argental la tragédie en question[1], avec cette clause qu’elle serait communiquée à vous, mon cher ami, et à vous seul. Ainsi, lorsque vous voudrez, passez chez ce M, d’Argental, chez cette aimable et bienfaisante créature, qui ne cesse de me combler de ses bons offices. Á présent que cette pièce envoyée me donne un peu de loisir, revenons à Orphée-Rameau. Je lui avais craché de petits vers[2] pour un petit duo. On pourrait, en allongeant la litanie, faire de cela un morceau très-musical. C’est la louange de la musique ; on y peut fourrer tous ses attributs, tous ses caractères. Le génie de notre Orphée se trouverait au large.

Je ferai de Samson tout ce qu’on voudra ; c’est pour lui (Rameau), c’est pour sa musique mâle et vigoureuse que j’avais pris ce sujet.

Vous faites trop d’honneur à mes paroles de dire qu’il y a trois personnages. Je n’en connais que deux, Samson et Dalila : car pour le roi, je ne le regarde que comme une basse-taille des chœurs. Je voudrais hien que Dalila ne fût point une Armide. Il ne faut point être copiste. Si j’en avais cru mes premières idées, Dalila n’eût été qu’une friponne, une Judith, p… pour la patrie, comme dans la sainte Écriture ; mais autre chose est la Bible, autre chose est le parterre. Je serais encore bien tenté de ne point parler des cheveux plats de Samson. Faisons-le marier dans le temple de Vénus la Sidonienne : de quoi le Dieu des Juifs sera courroucé : et les Philistins le prendront comme un enfant, quand il sera bien épuisé avec la Philistine. Que dit à cela le petit Bernard ? J’ai corrigé et refondu le Temple du Goût et beaucoup de pièces fugitives ; et malgré vos leçons, je suis à la bataille d’Hochstedt. Je passe mes jours dans les douceurs de la société et du travail, et je ne regrette guère que vous. Je voudrais être aussi bien auprès de Pollion que vous auprès d’Émilie.

  1. Alzire.
  2. Ils sont dans la lettre 532.