Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 533
La date vous fera voir que je n’ai pas le temps de vous écrire une longue épître. On vient de m’avertir que plusieurs chants de la Pucelle courent dans Paris. Ou c’est quelque poème qu’on met sous mon nom, ou un copiste infidèle a transcrit quelques-uns de ces chants. Dans l’un ou dans l’autre cas, il faut que je sois instruit de bonne heure de la vérité. Je vous jure, par cette même vérité que vous me connaissez, que je n’ai jamais prêté le manuscrit à personne, puisque je ne l’ai pas prêté à vous-même. Si quelqu’un m’a trahi, ce ne peut être qu’un nommé Dubreuil, beau-frère de Demoulin, qui a copié l’ouvrage il y a six mois. M, Rouillé prétend qu’il en court des copies. Voyez, informez-vous ; que votre amitié se trémousse un peu. Il est d’une conséquence extrême que je sois averti. Il faudra enfin que j’aille mourir dans les pays étrangers ; mais, en récompense, les Hardion, les Danchet, etc., prospèrent en France,
J’avais commencé une tragédie où je peignais un tableau assez singulier du contraste de nos mœurs avec les mœurs du nouveau monde. On a dit, il y a quelques mois, mon sujet au sieur Lefranc ; qu’a-t-il fait ? Il a versifié dessus, il a lu sa pièce à nos-seigneurs les comédiens, qui l’ont envoyée à la révision. Le petit bonhomme est un tantinetto plagiaire ; il avait pillé sa pauvre Didon tout entière d’un opéra italien de Metastasio. Mais il prospérera avec les Danchet et les La Serre, et moi, j’irai languir à la Haye ou à Londres. Adieu ; réponse, et prompte.