Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 518

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 544-545).
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518. — Á M. L’ABBÉ ASSELIN.
À Cirey, 24 octobre.

M. Demoulin, monsieur, a dû vous remettre un papier qui contient la dernière scène de Jules César, telle que je l’ai traduite de Shakespeare, ancien auteur anglais. Je ne vous en donnai qu’une partie, parce que j’avais supprimé, pour votre théâtre, l’assassinat de Brutus. Je n’avais osé être ni Romain ni Anglais à Paris, Cette pièce n’a d’autre mérite que celui de faire voir le génie des Romains, et celui du théâtre d’Angleterre ; d’ailleurs, elle n’est ni dans nos mœurs, ni dans nos règles ; mais l’abbé Desfontaines aurait dû faire à cette étrangère les honneurs du pays un peu mieux. Il me semble que c’est enrichir la république des lettres que de faire connaître le goût de ses voisins ; et peut-on faire connaître les poètes autrement qu’en vers ? C’était là un beau champ pour l’abbé Desfontaines. Il est bien étonnant qu’il ait parlé de cet ouvrage comme s’il eût critiqué une pièce de notre théâtre. Vous lui ferez sans doute faire cette réflexion, si vous le voyez. J’ai beaucoup de sujets de me plaindre de lui, et j’en suis très-fâché, parce qu’il a du mérite. Je ne veux avoir de guerre littéraire avec personne ; ces petits débats rendent les lettres trop méprisables. L’abbé Desfontaines m’avertit que j’en vais soutenir une sur son théâtre, au sujet des ouvrages de Campistron. Il y a du temps qu’il l’a commencée, et bien injustement. Je proteste, en homme d’honneur, que je n’ai jamais rien écrit contre cet auteur, et que je n’ai jamais vu l’écrit dont l’abbé Desfontaines parle[1]. Faites-lui sentir, monsieur, combien il est odieux de me faire jouer, malgré moi, un personnage qui me déplaît, et de me mêler dans une querelle où je ne suis jamais entré. Il me menace d′insérer dans son journal des pièces désagréables contre moi. Sur cette matière, tout ce que je répondrai sera une protestation solennelle que je ne sais ce dont il s’agit. Pourquoi veut-il toujours s’acharner à me piquer et à me nuire ? Est-ce là ce que je devais attendre de lui ? Je vous prie, monsieur, de joindre à vos bontés celle de lui parler. Il a trop de mérite, et j’ose dire qu’il m’a trop d’obligations pour que je veuille être son ennemi. Pour vous, monsieur, je n’ai que des grâces à vous rendre, et je vous serai attaché toute ma vie, avec toute l’estime et toute la reconnaissance que je vous dois.

  1. Voir la lettre 216.