Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 472

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 487-488).
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472. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 12 avril.

Je suis à Paris pour très-peu de temps, mon cher ami ; soyez bien sûr que, si je pouvais disposer de huit jours, je viendrais les passer auprès de vous, Savez-vous bien que tout ce grand bruit, excité par les Lettres philosophiques, n’a été qu’un malentendu ? Si ce malheureux Jore m’avait écrit dans les commencements, il n’y aurait eu ni lettre de cachet, ni brûlure, ni perte de maîtrise pour Jore. Le garde des sceaux a cru que je le trompais, et il le croit encore. Je sais que Jore est à Paris ; mais je ne sais où le trouver. Il faudrait engager sa famille à lui mander de me venir trouver ; peut-être qu’un quart d’heure de conversation avec lui pourrait servir à éclairer monsieur le garde des sceaux, me raccommoder entièrement avec lui, et rendre à Jore sa maîtrise, en finissant un malentendu qui seul a été cause de tout le mal.

À l’égard de Linant, j’ai vu une partie de sa pièce ; il n’y a rien qui ressemble à une tragédie : cela n’est pas présentable aux comédiens. S’il a compté sur cette pièce pour se procurer de l’argent et de la considération, on ne saurait être plus loin de son compte. La présidente[1] m’a paru aussi peu disposée à recevoir sa personne que les comédiens le seraient à recevoir sa pièce. Je crains même qu’elle ne soit un peu fâchée, et qu’elle ne s’imagine qu’on lui a tendu un piège. La seule ressource de Linant, c’est de se faire précepteur : ce qui est encore plus difficile, attendu son bégaiement, sa vue basse, et même le peu d’usage qu’il a de la langue latine. J’espère cependant le mettre auprès du fils[2] de Mme du Châtelet ; mais il faudra qu’il se conduise un peu mieux dans cette maison qu’il ne fait dans mon bouge ; et, surtout, qu’il ne se croie point un homme considérable pour une pièce de théâtre qu’il a eu envie de faire. Si vous avez quelques bontés pour lui, et que vous vouliez le tirer de la misère, recommandez-lui de s’attacher sincèrement à la maison dans laquelle il entrera. Il sera chez moi jusqu’à ce qu’il puisse être installé. Il ne me reste plus que peu de papier à remplir, et j’ai cent choses à vous dire ; ce sera pour la première fois. Vale.

  1. De Bernières.
  2. Florent-Louis-Marie, duc du Châtelet, né le 20 novembre 1727, condamné a mort le 13 décembre 1793.