Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 464

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 480-481).
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464. — À M. DESFORGES-MAILLARD.
À Vassy, en Champagne, le… février.

Dona puer solvit, quæ femina voverat, Iphis.

(Ovid., Met. IX, v. 193.)

Votre changement de sexe, monsieur[1], n’a rien altéré de mon estime pour vous. La plaisanterie que vous avez faite est un des bons tours dont on se soit avisé, et cela serait auprès de moi un grand mérite. Mais vous en avez d’autres que celui d’attraper le monde ; vous avez celui de plaire, soit en homme, soit en femme. Vous êtes actuellement sur les bords du Lignon, et de nymphe de la mer vous voilà devenu berger d’Astrée. Si ce pays-là vous inspire quelques vers, je vous prie de m’en faire part ; pour moi, j’ai un peu abandonné la poésie dans la campagne où je suis :

Non cadem ætas, non vis.
Olim poteram cantando ducere noctes[2] ;

mais à présent je songe à vivre.

Quid verum atque decens euro et rogo, et omnis in hoc sum.

(Hor., liv. I, ep. i, v. 11.)

Un peu de Philosophie, l’histoire, la conversation, partagent mes jours.

Duco sollicitæ jucunda oblivia vitæ.

(Hor., liv. II, sat. vi, v. 62.)

Cette Vie sera plus heureuse encore si vous me donnez part les fruits de votre loisir. Je suis fâché que la Champagne soit si loin du Lignon ; mais c’est véritablement vivre ensemble que de se communiquer les productions de son esprit et les sentiments de son âme.

  1. En 1730, ce poète breton avait adressé des vers à Voltaire sous un nom de femme, Mlle de Malcrais. Voltaire avait été dupe du déguisement, et avait répliqué par une épître. Voyez, tome X, page 274, l’Épître à une dame ou soi-disant telle.
  2. Réminiscence de Virgile, églog. ix 52.