Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 370

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 387-388).
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370. — Á M. LE MARQUIS DE CAUMONT[1].
À Paris, ce 25 octobre…

J’avais mis, monsieur, à la diligence de Lyon, un paquet contenant deux Henriade à votre adresse, à Avignon. J’ai renvoyé à la diligence sur la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, et j’ai trouvé que le paquet n’était point parti, ces messieurs disant pour raison qu’il aurait fallu l’adresser à Lyon à quelqu’un de connu dans la ville. M. de Malijac, que vous m’avez indiqué, m’a tiré d’embarras ; j’ai été chez lui, et j’ai eu l’honneur de lui remettre le paquet pour vous. J’ai gagné beaucoup à cela. M. de Malijac m’a paru un homme très-aimable. Il a un fils dont il me semble qu’on peut dire : Gratior et pulchro veniens in corpore virtus. Mais j’ai bien peur, monsieur, que vous n′ayez pas sitôt cette pauvre Henriade. Il me paraît que le ministère retient tant qu’il peut M. de Malijac dans ce pays-ci. Nos ministres ont raison ; j’en ferais autant à leur place si j’aimais mieux la bonne compagnie que les intérêts des sujets de notre saint-père le pape.

Il s’agit, je crois, de nous donner du bois, du blé et de l’huile. On fait bien des façons pour vous laisser avoir

Frigus quo duramque famem depellere possit.

Apparemment qu’on veut avoir pris l’Italie avant de régler nos affaires. Voilà toute l’Europe en armes. Quel temps, monsieur, pour les lettres ! Je dirai de nous :

Solus enim tristes hac tempestate camenas
Respexit.

Je me flatte de vous envoyer bientôt quelque nouvel ouvrage, malgré le tintamarre de la guerre qui nous environne de tous les côtés. Pour cette Histoire du siècle de Louis XIV, c’est une entreprise qui sera l’occupation et la consolation de ma vieillesse ; il faudra peut-être dix ans pour la faire. Heureux qui peut se faire un plan d’occupation pour dix années ! Ce travail sera doux et tranquille en comparaison des ouvrages d’imagination qui tirent l’âme hors d’elle-même, et qui sont une espèce de passion violente. On peut peut-être faire des vers comme l’amour dans sa jeunesse, mais à quarante ans il faut dire :

Nunc itaque, et versus, et cætera ludibria pono :
Quid verum atque decens curo et rogo, et omnis in hoc sum.

(Hor., liv. 1er, ép. i, vers 10-11.)

Je vous demande pardon de mon verbiage latin et français. Je vous respecte sans cérémonie.

Voltaire.

  1. Communiquée par M. Ch. Romey ; voyez n° 364. (B.)