Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 356

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 369-370).
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356. — Á M, DE CIDEVILLE,
Ce mardi au soir, 28 juillet.

Je reçois votre lettre, charmant ami ; j’avais déjà pris mes précautions pour l’Angleterre, où tout doit être retardé. Je comptais que l’édition de Rouen était tout entière entre vos mains et en celles de Formont. Il y a deux jours que j’attends Jore à tous moments ; il est à Paris, à ce que je viens d’apprendre, mais il n’a point couché cette nuit chez lui, et je ne l’ai point vu. J’ai bien peur qu’il n’ait couché

Dans cet affreux château, palais de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence.

(Henriade, ch. IV, v. 455.)

Cela est très-vraisemblable. Cet étourdi-là devait bien au moins débarquer chez moi : je lui aurais dit de quoi il est question. S’il est où vous savez, il faudra que je déguerpisse, attendu que je n’aime pas les confrontations, et que j’ai de l’aversion pour les châteaux. Mandez-moi, mon cher ami, ce qu’est devenu le scandaleux magasin, et si vous savez quelques nouvelles du premier président et de Desforges. Écrivez toujours à l’adresse ordinaire.

Je vais gronder notre Linant ; mais, en vérité, c’est l’homme du monde le moins propre à se mêler de faire raccommoder un éventail. Dieu veuille qu’il se tire heureusement du très-beau sujet[1] que je lui ai donné ! J’ai eu beaucoup de peine à le détacher de son Sabinus, qui sortait de sa grotte pour venir se faire pendre à Rome. J’ai imaginé une fable bien plus intéressante, à mon gré, et bien plus théâtrale, en ce qu’elle ouvre un champ bien plus vaste aux combats des passions. Je crois qu’il vous aura envoyé le plan ; du moins il m’a dit qu’il n’y manquerait pas. Il vous doit, comme moi, un compte exact de ses pensées, et nous disputons tous deux à qui pense le plus tendrement pour vous.

  1. Celui de Ramessès, que Linant finit par abandonner. Ramessès ou Ramsès le Grand, plus connu sous le nom de Sésostris, qui se donna la mort après un long règne, était sans doute le principal personnage de ce sujet de tragédie