Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 301

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 316-317).
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301. — Á MADEMOISELLE DE LAUNAI[1].
Paris, décembre 1732.

J’ai été extrêmement flatté, mademoiselle, de l’honneur de votre souvenir : j’en ai conclu tout de suite qu’il fallait bien que je valusse quelque chose pour mériter d’occuper même le plus petit recoin dans une mémoire aussi bien garnie que la vôtre.

Cette tête ne s’emplit pas
De chiffons ni de babioles,
Et, comme celle de nos folles,
N’est grenier à nicher des rats,
Mais logis meublé haut et bas,
Plus orné que palais d’idoles,
Où sont rangés sans embarras
L’astrolabe et les falbalas.
Et l’éventail et le compas,
Où sont bons et sûrs cadenas,
Sont trésors plus chers que pistoles ;
Ces précieux et longs amas
Des vérités de tous états,

Cette richesse de paroles
Sans le clinquant des hyperboles,
Ces tons heureux et délicats
Qui font des riens les plus frivoles
Des choses dont on fait grand cas.

Sans entrer dans un inventaire plus exact de tous vos meubles et immeubles, je vous dirai que j’ai trouvé dans votre lettre à M. de Formont les raisonnements les plus solides sur le libre arbitre, joints au badinage le plus charmant.

Vous me prouvez plus que jamais qu’une certaine délicatesse qui se sent mieux qu’elle ne se définit fait le caractère de vos esprits, et comme la marque de l’ouvrier, qui distingue le style des femmes d’avec le nôtre.

Un des Quarante peut arranger un volume ;
Quelquefois le bon sens fait un livre précis :
C’est là le sort de nos esprits ;
Mais, chez nous comme en vos écrits,
Sexe aimable, l’amour tient-il toujours la plume ?

Nous avons quelquefois votre solidité, mais presque jamais votre finesse ; vous savez donner à la philosophie des grâces qui la parent.

Vous prêchez pour la liberté
Bien mieux que Locke et son grimoire ;
Mais, prouvant à votre auditoire
Le droit du choix, si contesté,
Vous l’en privez en vérité,
Car qui peut ne pas vous en croire[2] ?

Dans vos mains les matières les plus abstraites prennent le ton amusant et persuasif · · · · ·

(le reste manque)

  1. Cette charmante lettre, dont nous devons la connaissance à M. Paul Lacroix, est perdue dans un recueil fort ignoré, la Macédoine à Rumfort, journal de littérature et de bienfaisance, tome III, page 98 ; Paris, à l’Établissement d’utilité sociale et de bienfaisance, rue de la Sourdière, n° 45, thermidor an VIII, in-18. (H. B.)
  2. Les vers qui font partie de cette lettre sont déjà tome X, pages 497-498.