Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 256
Je demande pardon à mon très-cher Cideville. Si je n’étais pas le plus sérieusement du monde occupé à des bagatelles, et si les moments de paresse qu’ont tous les vaporeux comme moi ne succédaient pas tour à tour au travail, je vous écrirais tous les jours, mon cher ami : car avec qui dans le monde aimerais-je mieux à m’entretenir qu’avec vous ? Avec qui puis-je mieux goûter les plaisirs de l’amitié et les agréments de la littérature ? Je vous renverrai votre opéra, puisque vous me le redemandez ; mais ce ne sera pas sans regretter infiniment l’acte de Daphnis et Chloé, qui est certainement très-joli, et sur lequel on ne pourrait pas faire de méchante musique. Si jamais vous avez du loisir, je vous conjurerai de l’employer à corriger les deux autres actes, et à faire à votre opéra ce que je viens de faire bien ou mal à ma tragédie : j’y viens de changer plus de la valeur de deux grands actes, et c’est de cette nouvelle manière dont on l′a va jouer à la rentrée du théâtre, précédée d’un compliment en vers à nosseigneurs du public. Je compte vous envoyer dans un paquet la pièce et le compliment[1], et je veux que votre ami Formont m’en dise avec vous son sentiment ; je vais lui écrire pour lui dire combien je lui suis obligé des peines qu’il a bien voulu prendre pour ce que vous savez[2], et combien nous le regrettons tous à Paris. Ah ! mon cher Cideville, pourquoi ne venez-vous pas aussi vous faire regretter ou plutôt pourquoi ne pouvez-vous pas, l’un et l’autre, vous faire toujours regretter à Rouen ? Adieu, mon cher ami ; mille pardons de vous écrire si fort en bref. J’ai déjà parlé à ma baronne[3] de notre petit Linant ; je souhaite extrêmement de lui être utile. Je me croirais trop heureux si j’avais pu, une fois en ma vie, encourager des talents. Adieu ; je vous embrasse tendrement.