Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 256

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 258-259).
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256. — À M. DE CIDEVILLE.
Ce jeudi, 17 avril.

Je demande pardon à mon très-cher Cideville. Si je n’étais pas le plus sérieusement du monde occupé à des bagatelles, et si les moments de paresse qu’ont tous les vaporeux comme moi ne succédaient pas tour à tour au travail, je vous écrirais tous les jours, mon cher ami : car avec qui dans le monde aimerais-je mieux à m’entretenir qu’avec vous ? Avec qui puis-je mieux goûter les plaisirs de l’amitié et les agréments de la littérature ? Je vous renverrai votre opéra, puisque vous me le redemandez ; mais ce ne sera pas sans regretter infiniment l’acte de Daphnis et Chloé, qui est certainement très-joli, et sur lequel on ne pourrait pas faire de méchante musique. Si jamais vous avez du loisir, je vous conjurerai de l’employer à corriger les deux autres actes, et à faire à votre opéra ce que je viens de faire bien ou mal à ma tragédie : j’y viens de changer plus de la valeur de deux grands actes, et c’est de cette nouvelle manière dont on l′a va jouer à la rentrée du théâtre, précédée d’un compliment en vers à nosseigneurs du public. Je compte vous envoyer dans un paquet la pièce et le compliment[1], et je veux que votre ami Formont m’en dise avec vous son sentiment ; je vais lui écrire pour lui dire combien je lui suis obligé des peines qu’il a bien voulu prendre pour ce que vous savez[2], et combien nous le regrettons tous à Paris. Ah ! mon cher Cideville, pourquoi ne venez-vous pas aussi vous faire regretter ou plutôt pourquoi ne pouvez-vous pas, l’un et l’autre, vous faire toujours regretter à Rouen ? Adieu, mon cher ami ; mille pardons de vous écrire si fort en bref. J’ai déjà parlé à ma baronne[3] de notre petit Linant ; je souhaite extrêmement de lui être utile. Je me croirais trop heureux si j’avais pu, une fois en ma vie, encourager des talents. Adieu ; je vous embrasse tendrement.

  1. Ériphyle, et le Discours (en vers) qui la précède.
  2. l’Histoire de Charles XII, dont onze ballots avaient été déposés, pendant quelques mois, chez Formont.
  3. Mme de Fontaine-Martel, qui ne voulut pas recevoir Linant chez elle.