Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 235

Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 241-242).
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235. — À M. DE CIDEVILLE.
rue de l’écureuil à rouen.
7 à 8 février[1] 1732.

Ériphyle et ma machine malade m’ont tellement occupé tous ces jours-ci, mon cher ami, que l’heure de la poste était toujours passée quand j’ai voulu vous écrire. Je suis venu à bout des tracasseries qu’on m’a faites ; mais une tragédie et une mauvaise santé sont des choses bien plus difficiles à raccommoder. Je souffre et je rime ; quelle vie ! Encore si je rimais bien ; mais si vous saviez combien il m’en coûte actuellement pour polir ma p… d’Argos, pour mettre chaque mot à sa place,

Et male tornatos incudi reddere versus ;

(Hor., de Art. poet., v. 411.)

vous plaindriez votre pauvre ami.

Mon Dieu ! pourquoi faire des vers, et les faire mal ? Voilà ce La Grange qui vient de donner Érigone. Il n’y a pas un vers passable dans tout l’ouvrage ; il y en a cinq cents de ridicules. La pièce est le comble de l’extravagance, de l’absurdité, et de la platitude ; mais j’ai peur que le siècle n’en soit digne. Cependant ce n’est pas trop à moi à dire du mal du siècle, qui traite assez favorablement Charles XII. Un auteur qui fait des vers comme La Grange, mais qui vaut assurément bien mieux, est actuellement fort malade : c’est ce pauvre Lamotte[2]. Je suis à peu près dans le même cas ; j’ai un reste de fièvre. Adieu : quand on est malade, il faut s’en tenir au proverbe : Des lettres courtes et de longues amitiés.

Je vous aime tendrement pour toute ma vie. Mille amitiés à Formont.

  1. Cette lettre, datée du 7 à 8 février, dans l’original, mais certainement par distraction, dut être écrite entre le 17 et le 26 décembre 1731, d’après les allusions qu’elle contient. (Cl.)
  2. Houdard de Lamotte mourut à Paris, rue Guénégaud, le 20 décembre 1731 vers sept heures du matin.