Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 223

Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 228-229).
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223. — À M. DE FORMONT.
en réponse à des vers sur la décadence de la poésie
5 septembre 1731.

Les beaux-arts sont perdus ; le goût reste ; et peut-être
Des poètes naissants vont par vous s’animer.
Il ne tenait qu’à vous de l’être,
Mais vous aimez mieux les former.
Ils écrivent pour vous, et vous êtes leur maître.

Mon cher ami, j’écrivis avant-hier à M. de Cideville un petit mot qui doit vous plaire à tous deux : c’est que je corrige Ériphyle, elle n’est encore digne ni du public, ni même de moi chétif. J’avais cru facilement que les beautés de détail qui y sont répandues couvriraient les défauts que je cherchais à me cacher. Il ne faut plus se faire illusion ; il faut ôter les défauts, et augmenter encore les beautés. L’arrivée de Théandre, au troisième acte, ce qu’il dit au quatrième et à la fin de ce même quatrième acte, me paraissent capables de tout gâter. Il y a encore à retoucher au cinquième. Mais, quand tout cela sera fait, et que j’aurai passé sur l’ouvrage le vernis d’une belle poésie, j’ose croire que cette tragédie ne fera pas déshonneur à ceux qui en ont eu les prémices, à mes chers amis de Rouen, que j’aimerai toute ma vie, et à qui je soumettrai toujours tout ce que je ferai. Vous m’avez envoyé tous deux des vers charmants, et je n’y ai pas répondu.


Mais, chers Formont et Cideville,
Quand j’aurai fait tous les enfants
Dont j’accouche avec Ériphyle,
Prêtez-moi tous deux votre style,
Et je ferai des vers galants
Que l’on chantera par la ville.


Je vous en dirais bien davantage, sans les douleurs où je suis. Rien ne pouvait les suspendre que votre charmante épître.