Correspondance de Voltaire/1729/Lettre 193

Correspondance de Voltaire/1729
Correspondance : année 1729GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 193).
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193. — À M. THIERIOT.

Avril.

Mon cher Thieriot, vous me faites songer à mes intérêts, que j’ai trop négligés. J’avoue que j’ai eu tort de tout abandonner comme j’ai fait. Je me souviens que Marc-Tulle Cicéron, dans ses bavarderies éloquentes, dit quelque part : Turpe est rem suam deserere. Muni donc du sentiment d’un ancien, et rendu à la raison par vos remontrances, je vous envoie la patente de la pension que me fait la reine ; il est juste qu’elle m’en daigne faire payer quelques années, puisque monsieur son mari m’a ôté mes rentes, contre le droit des gens. La difficulté n’est plus que de faire présenter à la reine un placet ; je ne sais ni à qui il faut s’adresser, ni qui paye les pensions de cette nature. Je soupçonne seulement que M. Brossoré, secrétaire des commandements, a quelque voix en chapitre ; mais je lui suis inconnu. Je crois que M. Pallu est de ses amis, et pourrait lui parler.

Mais, mon cher Thieriot, les obligations que j’ai déjà à M. Pallu me rendent timide avec lui. Irai-je encore importuner, pour des grâces nouvelles, un homme qui ne devrait recevoir de moi que des remerciements ? La vivacité avec laquelle il s’intéresse à ma malheureuse affaire[1] ne sortira jamais de mon cœur. Cependant j’ai été trois ans sans lui écrire, comme à tout le reste du monde. On n’a pu arracher de moi que des lettres pour des affaires indispensables. Je me suis condamné moi-même à me priver de la plus douce consolation que je puisse recevoir, c’est-à-dire du commerce de ceux qui avaient quelque amitié pour moi.

  1. Avec le chevalier de Rohan-Chabot.