Correspondance de Voltaire/1728/Lettre 178

Correspondance de Voltaire/1728
Correspondance : année 1728GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 177-180).
◄  Lettre 177
Lettre 179  ►

178. — À M. THIERIOT[1].

London, 21 april (n. s.), 1728.

My dear Tiriot, I write to you in English for the same reason that abbot Boileau wrote in Latin ; I mean, that I should not be understood by many over-curious people.

That I love you is very certain ; that I never received a letter from you these ten months, and that I should have received them, had you written any, is equaly true. I pardon your neglect, you lazy créature, but I do not forgive your telling me you have written ten letters when you have write none.

I thank you extremely for your having drudged and danced many an attendance, for my sake, at Bologni’s and at the Treasury. I do not wonder at your kindness, nor at the bad success, since misfortune attends me every where.

As to the Henriade. I think you may easily get a private licence of printing it : I intend in about a fortnight to ask that licence. In the mean time you must go to M. Hérault, the lieutenant de police. I have already sent one copy of the Henriade to him, and intreated him to seize all the copies which might steal into France till I had leave from the government to publish the book. I have assured him I would never send into France any thing without the consent of the ministry ; therefore it will be very proper for you to speak to him in the same manner, and to inform him that the person you speak of undertakes an édition of the Henriade, contrary to my honour, to my interest and to the laws. Surely M. Hérault will send for him and forbid him to meddle with such an undertaking. The lieutenant de police will do it the more readily the more you shall inform him of the man’s behaviour, and of his having been already guilty once of the like. Depend upon it the man will be terrified from his undertaking. In the mean time we will get our private license, and, in case the license is granted, I advise you to make a bargain with notable bookseller : then I will send you my plates, with sheets of a quarto édition, large paper, begun in London, with the Essai on Epic Poetry in French, and calculated for the French meridian. The bookseller must make two éditions : one in quarto, for my own account, and another in octavo for your benefit. But nothing can succeed to our advantage and to my honour, unless you go to M. Hérault, and implore his assistance against the interloper.

However, I think you should see the interloper, and tell him only you have acquainted me with his design ; that he should do nothing about the poem without consulting me about many altérations I have made since the publication : tell him besides, I disapprove entirely his design of translating my English essay, since I have translated it myself. That little pamphlet could not succeed in France without being dressed in quite another manner. What I say of Milton cannot be understood by the French unless I give a fuller notion of that author. The style besides is after ²the English fashion ; so many similies, so many things which appear but easy and familiar here, would seem too low to your wits of Paris. In short, I know nothing so impertinent as to go about to translate me in spight of my teeth. In fine your business must be to gain time with him, to terrify him by M. Hérault’s means, and to obtain of M. Hérault that he will hinder not only the man, but every body else from publishing the book.

I advise you to go to M. de Maison’s, and to lay the case before him : he is very great with the keeper of the seals, and may easily in a few days help us to a private license. You must direct for the future all your letters to messieurs Simon and Benezet, merchants, Nicholas-street, London.

Take care of your health, use much exercise, keep your body open, your mind easy, eat little, despise the world, love me, and be happy. Farewell.

My services to any body who will remember me. How does madame de Bernières ? I shall send her my great édition by the next opportunity.

The silly criticism[2], which is prefixed to one of the éditions I have sent to you, is written by one Faget, an enthusiastic refugee who knows neither good English nor French. I hear some of your impertinent wits in Paris have fathered it upon me[3].

  1. Pièces inédites de Voltaire, 1820.
  2. Voyez La note 2 de la page 181.
  3. Traduction :
    Londres, 21 avril (vieux style) 1728.

    Mon cher Thieriot je vous écris en anglais pour la même raison que l’abbé Boileau écrivait en latin, c’est-à-dire afin de n’être point compris par les gens trop curieux.

    Il est très-certain que je vous aime, et il est également vrai que depuis dix mois je n’ai pas reçu une seule de vos lettres, et que si vous en eussiez écrit, elles me fussent parvenues. Je puis pardonner votre négligence, paresseux ; mais je ne vous pardonne pas de m’assurer que vous m’avez adressé dix lettres quand vous n’en avez pas écrit une seule.

    Je vous remercie infiniment de toutes les peines que vous avez prises pour moi auprès de Bologni, et des courses inutiles que vous avez faites à la trésorerie. Je ne m’étonne point de votre bonté ni du mauvais succès qu’elle a eu, puisque le malheur me suit partout.

    Quant à la Henriade, je suppose que vous pourrez aisément obtenir une licence particulière pour la faire imprimer ; je compte dans une quinzaine de jours demander moi-même cette permission. Il faut aussi que vous alliez chez M. Hérault lieutenant de police ; je lui ai déjà envoyé un exemplaire de la Henriade en le priant de faire saisir tous ceux qui pourraient se glisser en France avant que j’aie eu du gouvernement la permission de publier ce livre. Je l’ai assuré que je n’enverrais jamais rien en France sans le consentement du ministère ; il serait donc à propos que vous lui parlassiez dans le même sens, et que vous l’instruisissiez du dessein qu’a certaine personne de faire paraître une édition de la Henriade sans mon consentement, ce qui serait également contraire à mon honneur à mon intérêt et aux lois. M. Hérault l’enverra sûrement chercher et lui défendra de se mêler d’une telle entreprise. Le lieutenant de police le fera d’autant plus promptement si vous l’instruisez de la conduite de cet homme et de ce qu’il s’est déjà rendu coupable de la même chose. Comptez que l’homme aura peur, et laissera tout là : nous en profiterons pour demander notre licence particulière, et en cas qu’on nous l’accorde, je vous conseille de faire prix avec un libraire en réputation : je vous enverrais alors mes gravures et quelques feuilles d’une édition in-4o, sur grand papier, commencée à Londres ; j’y joindrais un Essai sur la Poésie épique, en français, et calculé pour le méridien français. Il faut que le libraire fasse deux éditions, l’une in-4o pour mon propre compte et une autre in-8o à votre profit. Mais rien ne peut réussir à notre avantage et à mon honneur, à moins que vous n’alliez chez M. Hérault implorer son assistance contre l’usurpateur de mes droits.

    Quoi qu’il en soit, je crois que vous feriez bien de voir ce dernier, et de lui dire seulement que vous m’avez appris son intention, afin qu’il n’entreprît point d’imprimer ce poëme sans me consulter sur plusieurs changements que j’y ai faits depuis sa publication. Dites-lui de plus que je désapprouve tout à fait son dessein de traduire mon Essai anglais, puisque je l’ai traduit moi-même. Cet opuscule ne pouvait réussir en France sans être rédigé d’une tout autre manière. Ce que je dis de Milton ne peut être compris par des Français, à moins que

    je ne donne une plus ample notion de cet auteur. Le style est d’ailleurs d’après le genre anglais ; tant de comparaisons, tant de choses, qui paraissent ici simples et familières, sembleraient trop vulgaires à vos beaux esprits de Paris. En un mot, je ne connais rien d’aussi impertinent que de vouloir me traduire en dépit de mes dents. Votre affaire à vous doit être d’essayer de gagner du temps, d’effrayer ce traducteur par le moyen de M. Hérault, et d’obtenir de celui-ci que non-seulement il empêche cet homme, mais aussi toute autre personne, de publier mon livre.

    Je vous conseille d’aller chez M. de Maisons et de lui exposer le cas. Il est très-bien avec le garde des sceaux, et peut aisément, en peu de jours, nous procurer une licence particulière.

    Adressez à l’avenir toutes vos lettres chez MM. Simon et Benezet, négociants, près la Bourse, rue Nicolas, à Londres.

    Soignez votre santé, prenez beaucoup d’exercice, tenez-vous le ventre libre et l’esprit tranquille, mangez peu, méprisez le monde, aimez-moi, et soyez heureux. Adieu.

    Mes compliments à tous ceux qui se rappellent de moi. Comment se porte Mme de Bernières ? Je lui adresserai une grande édition par la prochaine occasion.

    La sotte critique qui sert de préface à une des éditions que je vous ai envoyées est écrite par un nommé Faget ; c’est un réfugié enthousiaste, qui ne sait ni anglais ni français. J’ai ouï dire que quelques-uns de vos impertinents beaux esprits de Paris me l’avaient attribuée.