Correspondance de Voltaire/1724/Lettre 121

Correspondance de Voltaire/1724
Correspondance : année 1724GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 118-119).
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121. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[1].

À Paris, ce lundi… août.

Je vis hier dimanche M. d’Argenson[2], dont vous recevrez incessamment une réponse ; mais, en attendant, je vous rendrai compte de ce qu’il m’a dit. M. de La Vieuville est près de conclure le mariage de sa fille avec un homme de robe de Paris, qui est pour sa fille un parti avantageux. M. d’Argenson n’a pas pu, dans ces circonstances, lui proposer une autre affaire. Tout ce que vous pouvez attendre de lui, c’est qu’il parle de M. de Lézeau, en cas que le mariage, qui est si avancé, vienne à se rompre ; mais je vous donne avis que M. de La Vieuville pense, sur le mariage de sa fille, d’une façon à désespérer tous ceux qui y prétendront. Comme il ne veut point pour gendre un homme de cour qui pourrait mépriser sa femme et son beau-père, il ne veut pas non plus d’un fils de famille, à qui on assurerait beaucoup et à qui on donnerait peu en le mariant. Il ne veut donner à sa fille que cent mille écus, valant dix mille livres de rente, et il ne voudra jamais d’un gendre qui, n’apportant d’abord que cinq mille livres de revenu, et ne jouissant en tout avec sa femme que de quinze mille livres, aurait besoin de la mort du beau-père pour vivre à son aise. C’est un homme malaisé à guérir de ses fantaisies ; cependant s’il se trouve jour à proposer M. de Lézeau je crois qu’il faudra le faire, et qu’on pourrait peut-être engager M. de Lézeau le père à donner à son fils un revenu plus considérable. Au reste, j’ai très-bien fait mon devoir, et, en vantant M. de Lézeau et sa famille, j’ai eu le plaisir de suivre mon inclination et de dire la vérité[3].

Je suis toujours logé dans votre appartement, où j’ai fait tendre un lit. Je n’ai pu encore m’accoutumer au bruit infernal du quai et de la rue ; il m’est impossible d’y dormir, encore moins d’y travailler. Mais j’espère que le plaisir de demeurer avec vous surmontera tout. Je ne sais aucune nouvelle, sinon que l’on juge à l’heure que je vous parle deux assassins d’un de ces quatre hommes dont il est parlé dans la commission du conseil adressée au parlement, pour juger les criminels de la Bastille. Mais je ne crois pas que ces deux assassins aient aucun rapport avec l’affaire de La Jonchère. Ils sont accusés d’avoir tué un charretier, et il n’y a pas d’apparence que ce meurtre ait aucune relation avec celui de Cendrier.

J’ai eu jusqu’à présent beaucoup d’affaires qui m’ont empêché d’aller par le monde vous chercher des nouvelles ; dès qu’il arrivera quelque chose de curieux dans ce pays-ci, vous aurez en moi un gazetier plus exact que l’abbé Desfontaines.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le comte d’Argenson, chancelier du duc d’Orléans.
  3. Les Lézeau étaient alliés à la famille Bernières.