Correspondance de Voltaire/1723/Lettre 81
Venez, mon cher ami, et ne nous donnez point de fausses espérances de vous voir. Vous serez à Rouen en deux jours. Monsieur votre père n’est point si mal que vous pensez. Je vous assure qu’il se portera fort bien ce printemps. N’allez pas vous imaginer que vous deviez renoncer à vos amis, parce que votre père a un boyau de moins. Venez voir les nouveaux vers que j’ai faits à Henri IV. On commencera, lundi prochain, ce que vous savez. Je suis actuellement à Rouen, où je ménage sourdement cette petite intrigue, et où d’ailleurs je passe fort bien mon temps. Il y a ici nombre de gens d’esprit et de mérite, avec qui j’ai vécu dès les premiers jours comme si je les avais vus toute ma vie. On me fait une chère excellente ; il y a, de plus, un opéra dont vous serez très-content ; en un mot, je ne me plains à Rouen que d’y avoir trop de plaisir : cela dérange trop mes études, et je m’en retourne ce soir à la Rivière, pour partager mes soins entre une ânesse et Mariamne[1].
Voyez, je vous en prie, Mlle Lecouvreur et M. l’abbé d’Amfreville. Dites à Mlle Lecouvreur qu’il faut qu’elle hâte son voyage si elle veut prendre du lait dans la saison, et n’oubliez pas de lui dire combien je suis charmé d’espérer que je pourrai passer quelque temps avec elle. Faites les mêmes agaceries pour moi à M. l’abbé d’Amfreville. Dites-lui que j’ai trouvé à Rouen un sien neveu qui me paraît aussi aimable que lui, et que c’est le plus grand éloge que je puisse lui donner. Vous allez être bien étonné de me trouver tant de coquetterie dans l’esprit ; mais vous jugez bien qu’un homme qui va donner un poème épique a besoin de se faire des amis.
- ↑ Voyez tome II, page 155.