Correspondance de Voltaire/1723/Lettre 80

Correspondance de Voltaire/1723
Correspondance : année 1723GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 86-87).
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80. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[1].

À Ussé, 15 janvier.

J’ai reçu, au château d’Ussé, votre dernière lettre, qui s’était arrêtée quelque temps à la Source, chez milord Bolingbroke, d’où on me l’a envoyée. Le sincère intérêt que vous daignez prendre à ma situation me touche au point que je ne peux vous l’exprimer. Je commence à voir bien clairement que je n’ai que vous de véritable amie. Vos lettres me font infiniment regretter de n’être point avec vous ; mais vous voyez vous-même combien cela m’était impossible. Il fallait absolument que j’allasse à Sully, qui m’éloignait de soixante lieues de votre terre ; la saison était avancée, et vous me mandiez que vous ne deviez rester que jusqu’à Noël. Vous n’êtes pas encore assez détachée de Paris pour avoir le courage de passer l’hiver à la campagne. Si vous aviez été capable d’y rester par goût, je serais assurément venu vous tenir compagnie ; mais vous croyez bien que je n’aurais pas pu accepter que vous y restassiez pour moi et vous demander de me sacrifier votre hiver.

À l’égard de l’homme en question[2], je l’ai cherché et fait chercher inutilement. J’ai pris le parti de faire continuer, à Paris, son malheureux procès ; la chute prochaine de son protecteur m’y a entièrement déterminé. Voici bientôt le temps où vous reviendrez à Paris ; je ne sais si vous m’y reverrez sitôt. Le goût de l’étude et de la retraite ne me laisse plus aucune envie d’y revenir. Je n’ai jamais vécu si heureux que depuis que je suis loin de tous les mauvais discours, des tracasseries et des noirceurs que j’ai essuyées. Il n’y a qu’une amie aussi solide et aussi estimable que vous qui pût m’y rappeler.

  1. Editeurs, de Cayrol et François.
  2. Beauregard