Correspondance de Voltaire/1713/Lettre 7


Correspondance de Voltaire/1713
Correspondance : année 1713GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 11-12).
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7. — À MADEMOISELLE DUNOYER.


Je suis ici prisonnier au nom du roi ; mais on est maître de m’ôter la vie, et non l’amour que j’ai pour vous. Oui, mon adorable maîtresse, je vous verrai ce soir, dussé-je porter ma tête sur un échafaud. Ne me parlez point, au nom de Dieu, dans des termes aussi funestes que vous m’écrivez ; vivez, et soyez discrète : gardez-vous de madame votre mère, comme de l’ennemi le plus cruel que vous ayez ; que dis-je ? gardez-vous de tout le monde, ne vous fiez à personne ; tenez-vous prête dès que la lune paraîtra ; je sortirai de l’hôtel incognito, je prendrai un carrosse, ou une chaise, nous irons comme le vent à Scheveling[1] ; j’apporterai de l’encre et du papier, nous ferons nos lettres[2]. Mais si vous m’aimez, consolez-vous, rappelez toute votre vertu et toute votre présence d’esprit ; contraignez-vous devant madame votre mère, tâchez d’avoir votre portrait, et comptez que l’apprêt des plus grands supplices ne m’empêchera pas de vous servir. Non, rien n’est capable de me détacher de vous : notre amour est fondé sur la vertu, il durera autant que notre vie. Donnez ordre au cordonnier d’aller chercher une chaise ; mais non, je ne veux point que vous vous en fiiez à lui ; tenez-vous prête dès quatre heures, je vous attendrai proche votre rue. Adieu ; il n’est rien à quoi je ne m’expose pour vous : vous en méritez bien davantage. Adieu, mon cher cœur.

Arouet.

  1. Ou Scheveningen, village à une lieue et demie de la Haye, sur le bord de la mer. (Cl.)
  2. Les lettres au père, à l’oncle et à la sœur d’Olympe.