Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 123

Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 281-282).

123.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 25 avril 1774.

Mon cher et illustre ami, vous avez appris par M. de Condorcet votre nouveau triomphe, qui était assurément bien mérité. Il vient d’en avoir un lui-même d’une autre espèce, par un excellent éloge de La Condamine, qui a eu le plus grand succès à notre assemblée publique[1], et qui est plein de philosophie et d’un excellent goût. Je n’ai point encore reçu pour vous l’argent du prix ; je compte le toucher incessamment, et je ne négligerai rien pour vous le faire parvenir avec le moins de frais et de diminution possible. Nous allons perdre, au moins pour quelque temps, le marquis Caraccioli, qui s’en va à Naples, et qui pourrait bien n’en pas revenir, quoiqu’il assure positivement le contraire. Je le regrette beaucoup, car, outre que sa personne me plaît infiniment à tous égards, j’ai le plaisir de parler souvent avec lui de vos succès.

Nous avons fait à l’Académie le Rapport de votre Mémoire sur les Tables des planètes[2], M. de Condorcet et moi, et nous avons conclu à ce qu’il fût imprimé plus tôt que plus tard, tant il nous paraît excellent et utile. Il le sera dans le Volume de 1772, celui de 1771 étant fini et déjà trop gros. Toute l’histoire de ce Volume de 1771 sera de M. de Condorcet, et j’espère que vous en serez content. Pour moi, je suis encore à mes rapsodies littéraires, sans oser me remettre à la Géométrie. J’en ai été bien tenté en lisant vos deux Mémoires sur la Lune et sur les Tables des planètes, et j’ai dit, en me tâtant :

Agnosco veteris vestigia flammæ[3].

Cette lecture, qui m’a employé du temps, car je lisais peu à la fois pour ménager ma pauvre tête, m’a empêché d’approfondir comme je l’aurais voulu vos nouveaux Mémoires dans le quatrième Volume de Turin. J’ai pourtant été très-satisfait du peu que j’en ai osé lire jusqu’à présent, entre autres du Mémoiresur l’intégration algébrique des équations différentielles semblables et toutes séparées. Mais je vous parlerai de tout cela plus en détail quand mes forces me le permettront. Je vous envoie, en attendant, notre programme[4]. C’est M. Lemonnier qui a exigé la petite observation que vous y trouverez sur l’équation séculaire, car il prétend que cette équation n’est pas douteuse ; mais je suis fort de votre avis sur son incertitude. Je souhaite que les perturbations des comètes vous paraissent un sujet digne de vous occuper. Le second exemplaire du programme est pour l’Académie, à qui je vous prie de le présenter, en l’assurant de mon dévouement et de mon respect. Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse tendrement et vous souhaite toute la santé dont vous avez besoin pour le bien de la Géométrie, qui n’a plus d’espérance qu’en vous. Mes compliments à M. Lambert. Je recommande de nouveau à votre amitié M. le comte de Crillon, qui va arriver incessamment, et qui m’apportera de vos nouvelles.

(En note : Répondu le 20 mai 1774.)

  1. Il est inséré dans le Tome de l’année 1774 des Mémoires de l’Académie des Sciences, Histoire, p. 85.
  2. Ce Rapport fut lu dans l’assemblée du samedi 26 mars 1774. Il occupe les feuillets 127 et 128 du registre manuscrit de l’Académie pour cette année 1774.
  3. Éneïde, liv. IV, vers 23.
  4. Voir la Lettre 125 de Lagrange et la note 1 de la page 284.