Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1972

Louis Conard (Volume 9p. 12-13).

1972. À SA NIÈCE CAROLINE.
Mardi, 9 heures, car Monsieur ne dort plus
ou presque plus ! 23 mars 1880.
Mon pauvre chat,

Je songe avec joie qu’à la fin de la semaine prochaine tu seras ici enfin, et que nous nous livrerons, sans compter les bons baisers, à quelques conversations philosophiques !…

Je viens de recevoir ton mot d’hier m’annonçant l’arrivée d’Ernest. Pourquoi donc ne voulait-on pas lui donner son traité ? Tout maintenant va bien, c’est le principal.

Mes invités ne se rendront à mon festival que lundi probablement. Ils ont du mal à s’entendre sur leur départ. J’aurai une réponse nette vendredi. Suzanne écure et récure, à force ! Jamais elle n’a plus travaillé ! Mon jardinier m’a l’air dans les mêmes dispositions. Quant à Bouvard et Pécuchet, leur lenteur me désespère !

Quel livre ! Je suis à sec de tournures, de mots et d’effets ! L’idée seule de la terminaison du bouquin me soutient, mais il y a des jours où j’en pleure de fatigue (sic), puis je me relève, et trois minutes après, je retombe comme un vieux cheval fourbu…

Non seulement Houzeau ne m’a donné aucun détail sur la visite d’amateurs à ton atelier, mais pas moyen d’en tirer un mot ! de sorte que je ne sais pas du tout ce que signifient ces mots de ton avant-dernière lettre, appliqués à la Princesse : « Très sans façon, légèrement trop peut-être » (style déplorable, d’ailleurs) ; c’est comme pour le dialogue avec Du Camp. Cette manière d’écrire vous fait bombiciner dans le vide, inutilement.

Au déjeuner scientifique de dimanche, croirais-tu que, sur trois savants qu’il y avait là, moi, homme de lettres, j’étais le seul qui eût lu Hippocrate !

Garde le bahut, si ça t’est plus commode. Pourvu qu’il y ait de quoi s’asseoir dans l’antichambre, c’est tout ce que je demande.

Je ne vois pas arriver avec plaisir le moment de quitter Croisset, mon rêve étant maintenant la tranquillité.

Adieu, pauvre fille.

Nounou.