Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1929

Louis Conard (Volume 8p. 348-349).

1929. À MADAME GEORGES CHARPENTIER.
Mardi, 13 [janvier 1880].
Chère Madame Marguerite,

Votre aimable billet de jour de l’an s’est beaucoup promené avant de me parvenir, la poste n’ayant pu lire l’adresse, qui me semble lisible cependant.

C’est moi qui aurais dû vous écrire le premier ! L’excuse à ma goujaterie est que je suis éreinté, écrasé jusque dans les moelles. Il y a des moments où j’ai peine à lever une plume — et tout cela pour qui ? pour la « Maison Charpentier » ! Aujourd’hui seulement j’ai fini mon avant-dernier chapitre ! et lundi prochain je me mets au dernier, qui me demandera encore trois ou quatre mois.

Maintenant autre guitare : je demande à votre mari comme un service personnel de publier maintenant, c’est-à-dire avant le mois d’avril, le volume de vers de Guy de Maupassant, parce que cela peut servir au susdit jeune homme pour faire recevoir aux Français une petite pièce de lui.

J’insiste. Ledit Maupassant a beaucoup, mais beaucoup de talent ! C’est moi qui vous l’affirme et je crois m’y connaître. Ses vers ne sont pas ennuyeux, premier point pour le public ; et il est poète, sans étoiles, ni petits oiseaux. Bref, c’est mon disciple et je l’aime comme un fils.

Si votre légitime ne cède pas à toutes ces raisons-là, je lui en garderai rancune, cela est certain. De plus, le même Charpentier me doit des excuses pour ne m’avoir point transmis le splendide article de Zola sur l’Éducation sentimentale. Sans un ami (de Rouen) qui me l’a envoyé, j’eusse été privé de cet encens.

Embrassez vos mioches pour moi, me permettant de commencer par leur mère, licence qu’autorise le grand âge de votre tout dévoué et affectionné. Quand aurons-nous un petit éditeur ?