Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1885

Louis Conard (Volume 8p. 296-297).

1885. À SA NIÈCE CAROLINE.
Saint-Gratien, jeudi, 18 septembre 1879.
Pauvre Chat,

Confiteor ma bêtise. J’avais cru que j’avais chargé Ernest de te dire de m’écrire en premier lieu, puis que je te répondrais, et je m’étonnais de n’avoir pas de tes nouvelles, quand c’était moi qui devais commencer !

Secundo : mon portier est la cause des inquiétudes que j’avais depuis avant-hier. Je ne sais pourquoi il a mis, cette fois, tant de retard à m’envoyer ta lettre.

Celle que j’ai reçue ce matin n’est pas gaie : le ton en est bien dolent ! Tout cela est la conséquence des efforts que tu as faits pour être une « Femme Forte ». Ma pauvre fille ! espérons que ta petite vacance au bord de la mer va te retaper un peu. Mais sais-tu où est l’adresse de Laure[1] ? Moi je l’ignore complètement. La vacance de Guy (qui se promène maintenant en Bretagne) ne doit pas se prolonger au delà du 25. Ne sais quand sa mère reviendra. Il est plus prudent d’écrire à Mme d’Harnois.

Ainsi, à peine Vieux sera-t-il rentré, que tu décamperas et, quinze jours après ton retour, sans doute tu l’abandonneras pour l’infâme Paris. Néanmoins, j’approuve beaucoup ton idée d’un séjour au bord de la mer, car cet état de langueur permanent me désole, mon pauvre loulou.

Je compte toujours être revenu dimanche pour dîner, malgré les instances de la Princesse. Et puis, j’en ai assez ! Il est temps de revoir la nièce et de reprendre Bouvard et Pécuchet !

Je me doute quel est le Monsieur qui est venu me voir : c’est un protégé de Raoul-Duval. Quant à la dame ? Mystère !

Les épreuves de l’Éducation me tannent aujourd’hui. Je n’ai à corriger que quatre-vingts pages ! J’ai tant sermonné Charpentier que l’imprimeur me pousse l’épée dans les reins ; et je ne suis pas encore à la moitié !

Demain, je passerai toute la journée à Paris, pour en finir avec la Vie Moderne. Samedi, j’y reviendrai pour faire mes paquets. Il me tarde de te revoir et de rentrer dans ma solitude, qui est décidément ce que je préfère à tout !

Adieu, pauvre chat ; à bientôt !

Nounou.


  1. Mme Laure de Maupassant.