Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1855

Louis Conard (Volume 8p. 269-270).

1855. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, jeudi matin, 11 heures, 12 juin 1879.

Ma nièce Caro m’oublie tout à fait : depuis douze jours, une seule lettre ! As-tu la migraine, pauvre chat ? J’ai vu hier (et enfin) le fameux portrait, auquel je ne trouve rien à redire. Cependant je te ferai une observation sur le col, mais j’ai peur de dire une bêtise, et provisoirement je m’abstiens. J’ai cuydé crever de chaleur et de fatigue à l’Exposition. La marche m’est encore très pénible. N’importe, je suis resté trois heures devant les tableaux. Celui de Carolus Duran m’a enthousiasmé, bien que je ne le trouve pas très ressemblant, car je connais le modèle, Mme Vandal. J’admire sans réserve le portrait du père Hugo[1] : il est vrai jusque dans la forme des ongles. Mes courses pour t’avoir des articles n’ont fini qu’avant-hier. Si l’on me tient parole, tu auras une soignée presse. En dînant, avant-hier, chez Charpentier, Burty, à propos de rien, est revenu sur ton étude de femme nue : « Savez-vous que votre nièce a du talent ? » Alors ton vieil oncle se rengorge !

Pas de Princesse, hier ! j’étais trop éreinté pour aller à Saint-Gratien et pour remonter, le soir, mon escalier. Ce matin j’ai envoyé promener définitivement Catulle, quant à Salammbô. Reyer est venu hier chez moi et nous avons eu là-dessus une (longue) conférence. Il y a peut-être moyen de faire jouer la Féerie au Théâtre des Nations ; des démarches à ce sujet sont entamées.

Tous les jours, à midi, je m’installe dans la Réserve[2], devant un bureau spécial, et je lis, en prenant des notes, des matières ecclésiastiques, et le soir, autant que possible, je reste chez moi. Il n’y a plus que le travail qui m’amuse.

Ce soir, pourtant, dîner chez Pouchet et lundi prochain chez Sabatier.

Avant-hier, j’ai été remercier Jules Ferry, lequel a été ultra-poli.

J’ai bien envie d’être revenu à Croisset pour y jouir du frais, n’avoir plus à m’habiller et bécoter un peu ma pauvre niepce.

Vieux.


  1. Par Bonnat.
  2. À la Bibliothèque Nationale.