Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1819

Louis Conard (Volume 8p. 226-227).

1819. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Vendredi [mars 1879]

Vous n’êtes pas « gaie », dites-vous, ma chère Princesse. Mais qui est-ce qui est gai ? Ce n’est pas moi, hélas ! Au moins si on pouvait se lamenter dans la compagnie de ceux qu’on aime, ce serait un soulagement. Si battu que je sois par le sort, si avarié que je me sente, il me semble qu’étant près de vous je pourrais vous distraire un peu de vos ennuis. Pardon de la présomption !

L’hiver est abominable. Cette persistance du mauvais temps vous tape sur les nerfs et la couleur du ciel vous entre dans le cœur. De la fenêtre de mon cabinet, j’aperçois cependant quelques primevères. Que ne puis-je refleurir comme le gazon ! Mais je me calomnie : le fond du bonhomme garde sa jeunesse. Oui, riez de moi, je suis aussi troubadour qu’à dix-huit ans. L’amour du Beau m’a conservé, comme le vinaigre fait aux cornichons.

La mort de M. de Sacy m’a fait de la peine. C’était un aimable homme et un lettré, chose rare. Un peu après lui est mort Saint-René Taillandier, qui a écrit contre moi des articles stupides. Cela va faire deux places à l’Académie. Je ne briguerai ni l’une ni l’autre, pas besoin de vous le dire.

J’ai trouvé la lettre du Prince Impérial très digne, très convenable.

Je me réjouis à l’idée que Popelin viendra me voir la semaine prochaine et serais fort dupé s’il ne venait pas.

Cette longue séparation de mes plus chers amis, parmi lesquels vous êtes au premier rang, Princesse, commence à m’attrister. Mais je ne pourrai pas descendre un escalier avant six semaines au plus tôt. Bref, si je peux faire le voyage de Paris vers la fin d’avril, ce sera beau.

D’ici là, écrivez-moi quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Ce sera me rendre service.

Je vous baise les deux mains aussi longuement que vous le permettrez.

Je suis votre vieux fidèle et dévoué.