Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1698

Louis Conard (Volume 8p. 66-67).

1698. À SA NIÈCE CAROLINE.
Saint-Gratien, dimanche [2 septembre 1877].

Ta lettre du 29 est bien gentille, mon loulou. J’y vois avec plaisir que tu deviens une amazone ! Mais prends garde de te fatiguer. Tu sais que l’exercice du cheval t’a été nuisible autrefois. Tu ne me parles pas de la santé d’Ernest ; comment se trouve-t-il ? Il faut qu’il reprenne des forces et se retape complètement, afin d’être vaillant au mois d’octobre et d’en finir ! Je le blâme de ne pas avoir abordé M. Sénard. Il aurait te présenter à lui, puisque tu es liée avec ses petites-filles et avec un de ses gendres. Cet excès de timidité peut passer pour de l’impolitesse ou tout au moins de la froideur. S’il en est temps encore, réparez cette faute.

Je me suis présenté vendredi chez la pauvre mère Heuzey qui m’avait écrit un mot de faire part à Croisset. Mais elle était à Paris et je n’ai pu la voir, par conséquent. On m’a dit qu’elle partait pour Rouen lundi ou mardi ; je vais lui écrire.

Je ne m’amuse pas du tout à Saint-Gratien, mais pas du tout ! La cause en est peut-être à la politique, ou plutôt à mon humeur insociable. Au fond, elle m’afflige, car j’en souffre moi-même plus que personne. Je ne suis plus bon à rien, du moment qu’on me sort de mon cabinet !

Mercredi, j’espérais faire un vrai dîner avec le bon Tourgueneff. Mais il m’a manqué de parole, étant retenu par la goutte. Et aujourd’hui dimanche, même histoire.

Et puis, je m’ennuie de ma pauvre fille, d’une manière sénile. Il me tarde d’avoir fait le voyage de Bouvard et Pécuchet et d’être réinstallé à la pioche, en surveillant l’atelier de Madame.

Adieu, pauvre chérie, je t’embrasse bien fort.

Ton vieil oncle.