Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1695

Louis Conard (Volume 8p. 62-63).

1695. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Lundi soir [août 1877].
Princesse,

Je compte toujours vous faire vers la fin de ce mois une bonne visite à Saint-Gratien, à ce cher Saint-Gratien !

Mais d’ici là, j’irai à Dieppe où j’espère voir le prince.

Puis, je me livrerai à différentes excursions aux environs et je reposerai un peu ma pauvre cervelle, qui a violemment travaillé depuis plusieurs mois. À quoi passer la vie si l’on ne travaille pas ! Pour la tolérer, la vie, il faut l’escamoter. Telle est ma morale, hélas ! et je la mets en pratique, ce qui prouve ma bonne foi et ma résignation.

À quoi passez-vous vos journées, Princesse ? Je vous conseille de vous faire lire deux volumes de mon ami Tourgueneff : l’un a pour titre L’Abandonnée et l’autre Les Eaux Printanières. Je trouve cela énorme et je crois que vous serez de mon avis.

Quel bel été ! et quels beaux clairs de lune ! Comme on doit être bien chez vous ! Le calme de la nature, en même temps qu’il apaise, humilie, ne trouvez-vous pas ? Comme nous sommes faibles et agités vis-à-vis des choses, qui sont fortes et immuables ! Plus je vais et plus je me convaincs de l’insignifiance de tout et de moi en particulier.

C’est pourquoi je tâche de songer à mon moi le moins possible, ce qui est difficile pour un solitaire.

Mais dans les moments de rêverie, et ils sont fréquents quoi que je fasse, savez-vous sur quoi, sur qui ma pensée revient et s’arrête avec le plus de charme et d’attendrissement ? sur vous, Princesse.

Je n’ai pas autre chose à vous dire, et puisque je suis à vos pieds,

Vôtre.