Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1611

Louis Conard (Volume 7p. 349-350).

1611. À MADAME ROGER DES GENETTES.
[Croisset, mercredi, 27 septembre 1876].

Quand vous ai-je écrit ? Il y a très longtemps, il me semble. Je suis en retard, mais ne pas croire que je vous oublie. Voici ma vie : depuis le commencement de juin j’ai travaillé jusqu’à la fin du mois dernier comme un frénétique, et mon Cœur simple est fait et recopié pour la Russie.

J’ai été passer quelques jours à Saint-Gratien, puis à Paris, où j’ai hanté la Bibliothèque ex-impériale et assisté à la première de Fromont. Les changements introduits dans l’histoire par Belot (et qui sont, selon moi, abjects) ont été la cause du succès. Tel est le public !

Le lendemain j’étais revenu ici, où Tourgueneff m’a rejoint le jour suivant. Comme c’est un homme fugace, il est reparti quarante-huit heures après, et depuis lors j’ai expédié Flavius Josèphe, lequel était un joli bourgeois ! c’est-à-dire un plat personnage.

Cette histoire d’Hérodias, à mesure que le moment de l’écrire approche, m’inspire une venette biblique. J’ai peur de retomber dans les effets produits par Salammbô, car mes personnages sont de la même race et c’est un peu le même milieu. J’espère pourtant que ce reproche, qu’on ne manquera pas de me faire, sera injuste. Après quoi je reviendrai à mes bonshommes.

Pour aller plus vite dans Hérodias, je me propose de rester ici le plus tard possible. Tâchez de m’imiter et de ne pas venir à Paris avant le jour de l’an.

Avez-vous lu le mandement de l’évêque de Montpellier sur le vol d’une hostie ? Comme style et comme grotesque, c’est inappréciable. Je vous recommande l’Arsenal de la dévotion, par Paul Parfait. Il y a de quoi avoir le vertige. Lisez cela, on ne saurait trop rire.

Comment allez-vous ? Que devenez-vous ? Écrivez-moi une longuissime lettre pour me prouver que vous me pardonnez ma négligence.