Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1606
Tu ne m’as pas l’air de t’amuser extrêmement à Croisset.
Tu me dis que, sans moi, « c’est la maison des morts ». Rien de plus vrai ; mais les morts sont plus agréables que les trois quarts des vivants. Les souvenirs de cette nature sont pleins de douceur, quand on a passé par les grandes amertumes.
Dans une huitaine de jours je ne serai pas loin d’aller te rejoindre, et j’espère que nous passerons ensemble quelques bonnes semaines. Ton pauvre vieux s’en réjouit d’avance. Si le mauvais temps continue, la première de Daudet aura lieu du 15 au 18 courant, ce qui fait que je ne serais pas obligé de revenir à Paris. La collaboration de Belot aura, je crois, été nuisible à Daudet. Ils ont fait un dénouement imbécile par peur du public, par lâcheté.
J’ai vu hier les Charpentier, retour de Bretagne, et ce matin mon élève Guy qui se porte mieux ; mais la santé de sa mère l’inquiète. Aujourd’hui et demain je passerai mon après-midi à la bibliothèque, pour y lire et feuilleter différents bouquins relatifs à saint Jean-Baptiste.
Comprends-tu jusqu’à quel point je suis beau ? Hier j’ai fait une longue visite à Maury[1] et à Ganneau[2].
Si la pièce de Daudet n’est jouée que le 18, je reviendrai le lendemain avec le Moscove.
Quant au reste, j’aurais tant de choses à te dire que je ne dis rien. En somme, ton pauvre vieux n’est pas gai.
Ton dictionnaire allemand est sur ma table. Cherche donc mon dictionnaire anglais, reliure brunâtre.
Adieu, pauvre fille chérie.