Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1605

Louis Conard (Volume 7p. 342-343).

1605. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, mercredi soir, 23 août 1876.
Mon pauvre Chat,

Je ne sais pas encore quand je m’en irai à Paris, probablement de demain ou après-demain en huit. Et je suis bien fâché de m’en aller juste au moment où tu arrives ! Mais j’aime encore mieux ça que de partir huit ou quinze jours après. C’est bien dommage que tu ne puisses pas reculer ton retour !

À la fin de septembre, il me faudra retourner à Paris (pour vingt-quatre heures seulement), afin d’assister à la première de Daudet. Que n’est-elle à la fin d’octobre ! Car j’ai bien peur que mes enfants ne me lâchent avant cette époque. La bonne Princesse a eu tellement chaud au Havre qu’elle s’est empressée de retourner chez elle, si bien que je n’aurai pas sa visite. Elle me rappelle que depuis trois ans, je n’ai pas fait le moindre séjour à Saint-Gratien et me somme d’y venir. Tout cela me dérange infiniment ! Si le Moscove ne devait pas venir immédiatement, je partirais tout de suite — et encore ne suis-je pas bien sûr de l’arrivée dudit Moscove ! J’espère que, demain, je saurai là-dessus à quoi m’en tenir.

Si je ne vais pas maintenant à Saint-Gratien il faudra que j’y aille lors de la pièce de Daudet[1], et alors j’abandonnerais encore ma pauvre Caro, dont je commence à m’ennuyer. Ce serait trop bête.

Si rien ne vous force à passer par Paris, je vous engage à revenir par Orléans, à voir Chartres que tu ne connais pas, et qui est on ne peut plus curieux.

Le père Baudry est resté ici deux jours pleins. Sa société est charmante ! Nous avons bavardé d’une façon inimaginable. Lundi, j’ai dîné avec lui chez son frère, qui a été gigantesque de comique. Je vous donnerai des détails du dîner, lequel n’a pas valu celui de Mme Pelouze, oh ! non ! Un canard pourri, un soi-disant Pont-l’évêque, qui était du livarot, etc. ! Son frère en souffrait !

Il (F. Baudry) croit que mes contes auront le plus grand succès. Aujourd’hui j’ai nettoyé ma table. Elle est maintenant couverte de livres relatifs à Hérodias et, ce soir, j’ai commencé mes lectures. Autre guitare !

Je t’embrasse bien tendrement.

Ta vieille nounou.

Maintenant que je n’écris plus, je sens ma fatigue. Cependant, je n’ai pas encore retrouvé le sommeil.


  1. Fromont jeune et Risler aîné, pièce en 5 actes.