Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1589

Louis Conard (Volume 7p. 315-317).

1589. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, samedi, midi [1er juillet 1876].

Je suis content d’apprendre le mariage de cette bonne Fanny[1] et, comme à toi, cette nouvelle m’a causé « une vive impression » (style facile vous épargnant la peine de chercher les mots et de savoir ce qu’on veut dire). Espérons qu’elle sera heureuse, que nous la verrons souvent, et que l’amitié ne faiblira pas. Je voudrais connaître le mari. Ton projet va donc se réaliser : le voyage en compagnie de la chère Flavie. Tant mieux ! Mais tâche de ne pas t’exalter à Lourdes. Continue à réserver ta foi pour des choses plus élevées… !

Si Ernest ne vient te trouver aux Pyrénées qu’à la fin de juillet, nous ne sommes pas près de nous voir, pauvre chat. Le bon Laporte est venu me voir hier dans l’après-midi, pendant que Marguerite accouchait[2]. Émile est dans le ravissement d’avoir un fils, joie que je comprends, que je trouvais autrefois très ridicule, et que maintenant j’envie. Dans la jeunesse, on est vert et dur, on s’attendrit plus tard, et enfin l’on arrive à être blet comme une poire d’Édouin : triste régal ! Pourtant je ne suis pas encore trop avachi, et je lutte comme un forcené contre les difficultés de mon Cœur simple, qui augmentent de jour en jour.

Tes explications sur les colis ne sont pas claires comme de l’eau de roche. Je tâcherai cependant, de nous y conformer. Quant aux clefs, Émile, qui les a toutes laissées à Paris, n’en a aucune ici. Cherche-les ! C’est Marguerite qui a rempli les deux caisses dont tu parles. Quant à la troisième, faite par Émile, elle n’en a pas : il l’a ficelée.

Allons, adieu, pauvre loulou. Bon voyage. Écris-moi donc sur du papier plus large. Pas tant de chic ! Les barres énergiques de ton écriture n’ont pas la place de s’étendre…

Il est temps d’aller me plonger dans la Seine. Si ça pouvait me faire dormir ! Mais j’ai le bourrichon monté. La nuit, les périodes qui roulent dans ma cervelle, comme des chars d’empereur romain, me réveillent en sursaut par leurs cahots et leur grondement continu.

Allons, encore un baiser bon de

Ta nounou.

  1. Fanny Egberg, qui venait d’épouser le baron Davoust, parent du maréchal.
  2. La femme de chambre de Mme Commanville, mariée au domestique de Flaubert.