Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1584
Je serais bien aise d’avoir de vos nouvelles, Princesse, ou plutôt chère Princesse (car pourquoi ne pas vous appeler tout haut comme je vous nomme tout bas). Il doit faire beau à Saint-Gratien et je vous suppose sinon heureuse du moins tranquille.
Moi, me voilà revenu dans cette vieille maison, à laquelle je tiens par l’attache des souvenirs et des habitudes et que j’avais quittée au mois de décembre aux trois quarts mort de chagrin et de découragement. Les choses ne sont pas encore superbes, mais elles sont tolérables et je crois que je vais travailler. Les rêves littéraires (je n’en fais plus d’autres) alternent avec les souvenirs, lesquels sont toute ma compagnie.
Le Prince, si vous l’avez vu, vous aura narré dans tous ses détails l’enterrement de Mme Sand. Il y a eu là de jolis cocos. Quant à lui, le Prince, il a été parfait et plus avisé que Renan et moi, qui le poussions à une chose maladroite. Il s’est abstenu de tout discours et a bien fait.
Cette mort de ma vieille amie m’a navré. Mon cœur devient une nécropole où il reste pourtant de la place pour les vivants. Comme le vide s’élargit. Il me semble que la terre se dépeuple.
C’est une raison pour tenir davantage à ceux qui restent, pour aimer encore plus ceux qu’on aime. Voilà pourquoi je pense à vous si souvent et je vous écris, bien que je n’aie rien à vous dire, sinon que je vous baise les deux mains et suis votre vieux et affectionné.