Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1552

Louis Conard (Volume 7p. 264-265).

1552. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Concarneau, jeudi, 6 heures soir [30 septembre 1875].

[…] Mon compagnon Pouchet m’a quitté depuis lundi matin et ne reviendra que ce soir, de sorte que je me suis passablement ennuyé pendant quatre jours. Cette solitude ne m’a pas été bonne. Je viens même de déchirer une lettre à toi où je m’épanchais trop.

Aujourd’hui, d’ailleurs, il fait de l’orage et j’ai mal à la tête. Enfin, ça ne va pas.

Lis dans la Légende dorée l’histoire de saint Julien l’Hospitalier. Tu l’as mal comprise dans Langlois (où elle est pourtant bien racontée).

Tu peux reprendre les Buffon. Mets aussi de côté pour l’emporter à Paris les Légendes pieuses du moyen âge de Maury. C’est un petit in-8o broché en bleu qui se trouve en face des Buffon.

Malgré tes conseils, je ne peux pas arriver à l’ « endurcissement », ma chère fille. Ma sensibilité est surexcitée ; j’ai les nerfs et le cerveau malades, très malades, je le sens… Allons ! bon ! voilà que je vais recommencer à me plaindre, bien que je ne veuille pas t’affliger. Je me borne à relever ta comparaison du « rocher ». Apprends donc que les vieux granits deviennent quelquefois des couches d’argile. J’en ai vu ici des exemples que Pouchet m’a montrés. Mais tu es jeune, tu as de la force et tu ne peux me comprendre, malgré toute ta tendresse.

Tu ne m’as pas parlé du mariage de Frankline.

Ma lettre est-elle assez bête, hein ? Elle me ressemble. « Le style, c’est l’homme même. » Mais je t’écris aujourd’hui parce que, autrement, tu n’aurais pas de mes nouvelles avant lundi. Comme aujourd’hui je suis très noir, je m’arrête là, me bornant à t’embrasser bien tendrement.

Ton vieux.