Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1467

Louis Conard (Volume 7p. 164-165).

1467. À SA NIÈCE CAROLINE.
Kaltbad-Rigi (Suisse), mercredi soir, 6 heures, 8 juillet 1874.
Mon pauvre Chat,

Comme je m’ennuyais énormément de n’avoir pas de vos nouvelles, j’ai ce matin écrit un mot à Daviron, par le télégraphe. Il vient de me faire répondre : « Voyageurs arrivent demain à Paris. »

Vous voilà de retour. Mais pourquoi si tôt ? L’un de vous est-il malade ? ou y a-t-il quelque anicroche dans les affaires ? Il est bon de te dire que la Suisse ne m’égaie pas et même qu’elle me tourne au noir. Si je continuais longtemps une vie pareille, je deviendrais absolument hypocondriaque. Jamais de la vie je ne me suis plus mortellement ennuyé. Les huit jours qui viennent de s’écouler m’ont semblé trois siècles. Bien que je fasse, chaque après-midi, de deux à trois heures de promenade, j’ai perdu l’appétit : voilà comme l’exercice m’est favorable. Il est vrai que je n’ai plus mal à la tête et que je suis peut-être un peu moins rouge.

Enfin, j’aspire comme un prisonnier au moment de la délivrance. Je compte que mon ami Laporte viendra me chercher vers vendredi ou samedi de la semaine prochaine et que huit jours après (encore quinze jours de Suisse !) je serai à Paris.

J’y aurai probablement à faire, car le Sexe faible m’a l’air d’être reçu à Cluny : du moins, j’en ai vu la nouvelle dans le Figaro et dans le XIXe Siècle. On l’annonce comme devant être joué au mois de septembre. Tout ce que je sais, c’est que je l’ai porté à ce théâtre, en passant par Paris, et que le directeur devait me donner la réponse à mon retour. Il est probable qu’il aura lu la pièce immédiatement et que, lui convenant, il l’aura fait annoncer. Mais s’il la donne comme pièce d’ouverture, je serai obligé de rester tout le mois d’août à Paris, ce qui me contrarierait. Un peu de patience : dans une quinzaine j’en aurai le cœur net. Vous n’allez pas, j’imagine, rester longtemps rue de Clichy ? N’importe ! il faut qu’Ernest se fasse ausculter et consulte quelqu’un pour sa gorge.

Adieu, pauvre Caro. Encore un bon baiser de

Ta pauvre vieille Nounou.