Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1422

Louis Conard (Volume 7p. 98-99).

1422. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Dimanche soir [7 décembre 1873].

Excusez-moi, Princesse, de n’avoir pas répondu plus tôt à votre bonne petite épître du 20 novembre. Mais j’ai tant travaillé qu’il faut être indulgente. Bref, j’ai fini Le Candidat. Carvalho est venu en entendre la lecture ici, dimanche, et il en a paru content. Je dois entrer en répétition vers la fin de ce mois.

Mais sait-on jamais ce qui peut advenir dans le monde des théâtres ! À la grâce de Dieu !… N’importe ! je ne suis pas près de recommencer des exercices pareils et je regrette même de m’y être livré. Il faut pour cela être jeune et moins névropathe que je ne suis.

Quoi qu’il en soit, avant quinze jours, vers la fin de la semaine prochaine probablement, j’aurai le plaisir de vous voir. Si j’entrevois pour mon hiver une série d’embêtements, je m’en console en songeant que je passerai de bonnes heures près de vous.

La politique m’a l’air de se calmer ! Nous allons être pour quelque temps au plat fixe, jusqu’à un nouveau tremblement. Le ministère ne m’a pas l’air d’avoir la vie longue ; mon deuil en est fait d’avance.

Quelle jolie page l’académicien Beulé[1] vient d’ajouter à sa biographie ! Le pouvoir aura servi à lui donner un ridicule ineffable, rien de plus.

À propos d’académiciens, que dit-on ? Renan ferait une pièce sur le roi Salomon ! Je n’en crois rien.

Avez-vous fait votre tournée de théâtres ? Avez-vous vu Monsieur Alphonse ? Est-ce vraiment aussi bon qu’on le prétend ? Mais vous n’êtes pas un juge commode ! et j’ai remarqué, Princesse, que vous n’avez pas toujours pour les œuvres la même bienveillance que vous avez pour les personnes.

Gardez-moi la vôtre, car je suis, moi, votre vieux fidèle et dévoué.


  1. Étant ministre de l’Intérieur, répondant à une interpellation de M. Lepère sur l’attitude du gouvernement envers la Presse, M. Beulé dit : « L’Assemblée Nationale, que le pays a choisie dans un jour de malheur. » L’Assemblée ayant été élue en même temps que la Commune s’installait, chaque parti interpréta ces paroles à sa façon. L’orateur fut couvert de bravos ironiques.