Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1397

Louis Conard (Volume 7p. 57-59).

1397. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, mardi soir. [9 septembre 1873].
Mon pauvre Caro,

Le Moscove est un être tellement mené que je ne sais pas maintenant s’il est à Bougival, à Saumur, ou à Oxford. Mais d’ici à samedi matin j’aurai de ses nouvelles et l’annonce, peut-être, de son arrivée.

Les Censier seront chez toi dimanche. Il me semble que nous ne pouvons pas y coucher, cela vous gênerait trop.

De toute façon (en admettant que Tourgueneff n’aille pas à Dieppe) il ne se passera pas bien du temps avant que tu ne voies ta vieille nounou, car elle s’ennuie beaucoup de sa pauvre fille.

J’ai reçu ce matin une lettre très aimable du père Hugo, m’invitant à dîner chez lui, le jour que je voudrai. Je m’étais présenté à son domicile pour avoir des nouvelles de son fils qui est très malade.

J’en ai reçu une autre de Lachaud, l’éditeur, qui me redemande un bouquin quelconque.

Mais j’en ai reçu une de Mme Magnier, confiseur, qui me fait moins d’honneur que les deux précédentes ! car elle me réclame plusieurs factures. Là-dessus, voyage à Rouen. Recherches infructueuses des quittances, correspondance peu récréative. Bref, j’ai aujourd’hui même craché (pour des confitures depuis longtemps digérées par d’autres) la somme de 304 francs. Il m’est également revenu, depuis mon retour de Paris, deux ou trois petits papiers de ce genre-là, et je ne possède plus que 40 francs. Donc, si mon beau neveu pouvait m’envoyer 500 francs, il m’obligerait.

[…] Je crois que j’ai bien fait de lire à Carvalho le plan du Candidat, car il l’a trouvé très bien, et l’espoir de le jouer dans l’hiver de 1874-1875 va lui donner du zèle pour le Sexe faible.

T’ai-je dit qu’il m’avait promis de revenir à Croisset prochainement, pour causer du Candidat ?

Je m’y suis mis ! Depuis dimanche, c’est mon travail du soir. Dans la journée, je lis des ouvrages des RR. PP. Jésuites, et je vais en avaler un de Mgr Dupanloup !…

Le choléra a été assez fort à Croisset. Pour le prévenir, tout le monde entonne du rhum avec conviction. Mais l’épidémie paraît se calmer.

Aucune nouvelle. Mon serviteur, hier, a manqué se casser la margoulette en dégringolant du haut d’un noyer où il lochait des cerneaux. Il s’est poché l’œil, écorché la main et meurtri le dos.

Le temps commence à n’être pas chaud, mon loulou.

Tu as bien tort de laisser manger ton temps par les fâcheux ! C’est la pire manière de le perdre.

Tu ne diras pas cette fois que je t’écris de simples billets ? Là-dessus, mon loulou,

Serviteur !