Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1370

Louis Conard (Volume 7p. 17-18).

1370. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset]. Nuit de mardi [20-21 mai 1873].

Quelle ne fut pas ma surprise hier matin en recevant ta lettre de samedi, datée de Fontainebleau ! Cette attention-là m’a fait bien du plaisir, ma chère Caro, et je t’en remercie.

Oui, je connais les livres, et même la personne du bonhomme Dennecourt, dit « le Sylvain ». Si tu te promènes à pied dans la forêt, tu as pu te convaincre qu’il s’y est livré à des travaux gigantesques. Moi, je me suis promené hier dans Rouen, dans l’unique but d’y faire des achats. Que n’ai-je point acheté ! des rideaux de vitrage, des serviettes, des draps, une toile cirée, un garde-manger, etc. ; car la pauvre maison de Croisset manque de bien des choses. Je tâche de la recaler, et même je ne voudrais pas que tu vinsses avant que tout n’y soit établi dans mes idées ; ce sera, je crois, vers la fin de la semaine prochaine, c’est-à-dire le commencement de juin.

Serait-ce exaspérer par trop mon beau neveu que de lui demander timidement quand se fera le voyage de Liverpool ? et l’époque où vous viendrez chez la Nounou ?

J’ai eu, ce matin, bien du mal pour le placement des Métopes du Parthénon ! Mais ça se fera. Je me suis mis au Sexe faible (Bouvard et Pécuchet restent sous la remise), et la première scène du premier acte est à peu près écrite. Je vise comme style à l’idéal de la conversation naturelle, ce qui n’est pas très commode quand on veut donner au langage de la fermeté et du rythme. Il y avait longtemps (un an bientôt) que je n’avais écrit, et faire des phrases me semble doux.

Quand tu viendras ici, n’oublie pas de m’apporter : 1o le grand cordon de sonnette qui a dû être remis lundi dernier chez toi ; 2o mes portraits de japonaises.

Si tu passais devant Goupil, tu ne ferais pas mal d’y entrer pour voir ce que deviennent mes photographies et comment on les a encadrées. Je devais les recevoir ici au bout de dix jours et la dizaine est passée.

Donne-moi des détails sur le voyage de Fontainebleau et sur tout. Car de toi, chère fille, tout m’intéresse.

Ton vieil oncle qui t’aime.