Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1169

Louis Conard (Volume 6p. 223-224).

1169. À GEORGE SAND.
Croisset, lundi soir, 2 heures [24 avril 1871].
Chère Maître,

Pourquoi pas de lettres ? Vous n’avez donc pas reçu les miennes envoyées de Dieppe ? Êtes-vous malade ? Vivez-vous encore ? Qu’est-ce que ça veut dire ? J’espère bien que vous (ni aucun des vôtres) n’êtes à Paris, capitale des arts, foyer de la civilisation, centre des belles manières et de l’urbanité.

Savez-vous le pire de tout cela ? C’est qu’on s’y habitue. Oui, on s’y fait. On s’accoutume à se passer de Paris, à ne plus s’en soucier, et presque à croire qu’il n’existe plus.

Pour moi, je ne suis pas comme les bourgeois ; je trouve que, après l’invasion, il n’y a plus de malheurs. La guerre de Prusse m’a fait l’effet d’un grand bouleversement de la nature, d’un de ces cataclysmes comme il en arrive tous les six mille ans ; tandis que l’insurrection de Paris est, à mes yeux, une chose très claire et presque toute simple.

Quels rétrogrades ! quels sauvages ! comme ils ressemblent aux gens de la Ligue et aux maillotins ! Pauvre France, qui ne se dégagera jamais du moyen âge ! qui se traîne encore sur l’idée gothique de la commune, qui n’est autre que le municipe romain !

Ah ! j’en ai gros sur le cœur, je vous le jure !

Et la petite réaction que nous allons avoir après cela ! Comme les bons ecclésiastiques vont refleurir !

Je me suis remis à Saint Antoine, et je travaille violemment.