Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1117

Louis Conard (Volume 6p. 140-141).

1117. À SA NIÈCE CAROLINE.
Mardi, 6 heures [9 août 1870].

Rien de neuf chez moi. Nous venons d’apprendre la dépêche de Verdun. Mais nous n’osons encore y croire.

Ce qui me ronge, ma chère Caro, c’est mon inaction forcée. Si elle dure quelque temps encore, je crois que j’éclaterai.

J’ai eu hier un bel accès de fureur, causé par une plaisanterie du jeune Baudry. J’ai même hésité à aller à Rouen tout exprès pour lui flanquer des calottes. Je te conterai cela.

L’impassibilité de ta grand’mère est sublime. Je n’ai que mon voisin Fortin qui me comprenne. Il vient me voir plusieurs fois par jour, car sa femme l’exaspère par son calme. Nous irons ce soir à Rouen ensemble pour avoir des nouvelles.

Donne-nous des tiennes et surtout de celles des affaires d’Ernest. Le père Cottard a des hallucinations. Il croit que les Prussiens se livrent sur son épouse à des actes de la plus complète immoralité ; il veut étrangler cette même épouse qu’il prend pour les Prussiens. Le Docteur Morel est venu le voir tout à l’heure.

Je trouve cette petite anecdote pleine de charme.

Mais si ça dure comme ça quelque temps, tout le monde perdra la boule !

Adieu, pauvre chérie.

Ton vieil oncle qui t’aime.