Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1110

Louis Conard (Volume 6p. 130-131).

1110. À SA NIÈCE CAROLINE.
Vendredi soir, minuit, 8 juillet 1870

Ma chère Caro,

Nous avons été tantôt un peu « marrys » d’apprendre que nous ne te verrons pas avant la fin du mois. Tu es donc malade, mon pauvre loulou ? Reste à Luchon, puisqu’il le faut, et reviens-nous plus robuste. Je ne quitterai pas ta bonne maman avant ton retour. Ainsi ne te gêne pas.

Puisque Ernest te tient compagnie et que tu n’as pas besoin de moi, je t’avouerai maintenant que ce voyage m’eût beaucoup dérangé, car, demain, sans faute (oui, demain soir, 9 juillet), je me mets définitivement à écrire Saint-Antoine ! J’ai besoin de quelque chose d’extravagant pour remonter mon pauvre bourrichon.

J’ai cependant bien travaillé avec d’Osmoy qui est arrivé ici lundi et en est reparti tantôt, étant trop inquiet de sa femme qui, en effet, est malade. Nous avons arrangé ensemble une comédie de mon pauvre Bouilhet[1], c’est-à-dire que nous avons amélioré (je crois) la conduite de la pièce. C’est, pour moi, un travail de deux mois encore. J’espère m’y livrer pendant les répétitions d’Aïssé. D’ailleurs, rien ne presse. Saint Antoine avant tout.

Quelle chaleur ! On tombe sur ses bottes ! L’eau de la Seine a vingt degrés.

En fait de nouvelles, nous avons eu, avant-hier, la visite de Mme Raoul-Duval, et aujourd’hui celle de la tante Achille. Voilà tout. C’est peu. Ta grand’mère va bien, mais elle s’ennuie de toi énormément, et moi aussi.

Je t’embrasse bien fort.

Ton vieil oncle.

Je suppose qu’Ernest a commandé à l’inéluctable Grimbert de payer le loyer de la rue de Clichy. Prie-le de dire au même citoyen de payer celui de la rue Murillo, et embrasse-le de ma part. Il est bien gentil et il me semble qu’il aime fortement sa petite femme pour laisser ainsi « les affaires ».


  1. Le sexe faible.