Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 6/1041

Louis Conard (Volume 6p. 48-49).

1041. À LA PRINCESSE MATHILDE.
Mardi matin [été de 1869].

Comment allez-vous, Princesse ? Vous reposez-vous suffisamment sous les beaux ombrages de Saint-Gratien ?

Quant à moi je m’ennuie de vous, démesurément. Voilà la vérité toute crue, et je compte les semaines qui me séparent de mon retour.

Le rhume que j’ai attrapé, la dernière semaine de mon séjour à Paris, s’est ajouté à ma vieille fatigue et, depuis que je suis revenu ici, je ne fais guère que dormir. J’ai repris cependant de vieilles paperasses et je recommence à rêver un autre bouquin.

J’ai trouvé ma mère en bon état physique, mais de plus en plus sourde et faible. Une conversation suivie est devenue maintenant impossible ; quelle triste chose que la vieillesse !

Je n’étais pas gai, l’autre dimanche soir en vous quittant, et j’ai franchi le seuil de votre hôtel, avec un vrai serrement de cœur.

Quels bons moments, entre tous les autres, j’y ai passés il y a quinze jours ! Le souvenir des cinq après-midi où je vous ai lu mon long roman restera éternellement dans ma mémoire comme une des meilleures choses de ma vie. Il faut être auteur pour savoir jusqu’à quel point j’ai été flatté ; cela s’appelle un succès ; non, un bonheur.

Il me semble que les troubles de Paris sont finis. Êtes-vous entièrement contente ? Moi, je suis plus que jamais plein de confiance. Ah ! si j’étais le gouvernement ! comme disent les portières.

Si vous n’avez rien de mieux à faire, je vous engage à lire Les nouvelles moscovites de Tourgueneff, qui viennent de paraître.

Vous trouverez là deux ou trois histoires d’hommes timides, fort amusantes, selon moi.

Ayez la bonté, Princesse, de me donner quelquefois de vos nouvelles et laissez courir la plume sur le papier tant qu’il vous plaira.

Je me mets à vos pieds, je vous baise les deux mains

et suis
tout à vous.