Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/1006
Je suis fort heureux de recevoir de vos nouvelles. Je désirerais seulement qu’elles fussent meilleures. Sans jamais avoir eu la satisfaction de vous voir, je vous compte au nombre de mes amis. Tout ce qui vous arrive de fâcheux m’afflige. Soignez bien vos yeux.
Je connais le livre de Ténot, qui ne m’a rien appris de neuf, car j’ai assisté de ma personne au coup d’État, et j’ai même manqué rester sur le trottoir. Des gens ont été tués sous mes yeux ; je ne sais comment je l’ai échappé.
Mais l’opposition actuelle me paraît stupide. Elle s’attaque à l’Empire, ou plutôt à l’Empereur, au lieu de s’en prendre à la question religieuse, qui est la seule importante.
Il y a quelque temps que je n’ai eu des nouvelles de Mme Sand. Elle m’avait invité à aller chez elle à Nohant, le 15 de ce mois, pour le baptême de ses petites-filles. Mais mon bouquin m’a retenu. Le moindre dérangement physique me trouble la cervelle.
Je vous remercie de vous intéresser à ma mère. Elle va aussi bien qu’on peut aller à son âge : soixante-quinze ans ! Si ce n’est que sa surdité l’attriste beaucoup.
Comme voici le jour de l’An et qu’on a coutume, à cette époque, de se faire de petits cadeaux, je me permets de vous envoyer le portrait d’un homme qui pense souvent à vous.
P.-S. — Je viens de recevoir votre article et vous en remercie.
Mais pourquoi se retourner toujours vers le passé, quand l’avenir est là, l’avenir infini ?
C’est parce que nous pensons à nous que nous sommes tristes et malades.