Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/1002
Oui, mon bibi, je viens de finir mon chapitre. Il est même recopié, et lundi j’espère commencer le suivant.
Ta bonne maman réclame Mlle Julie et désire qu’elle soit rentrée à Croisset lundi soir, parce qu’elle a besoin d’elle mardi.
Elle attend le moment de te revoir avec une certaine impatience, et serait très dupe si ton mari ne venait pas mercredi.
Je ne demanderais pas mieux que de l’accompagner. Mais il faut être raisonnable et rester à son sacerdoce.
Mme Cloquet m’a écrit hier pour me dire que M. de Montblanc m’attendait afin de partir ensemble vers Toulon. Le beau temps qu’il fait présentement ajoute à mes regrets. J’aimerais fort à batifoler sur les rivages de la Méditerranée ! Mais mon cinquième chapitre, que deviendrait-il ? Un dérangement de quinze jours me ferait perdre tout mon hiver.
J’irai samedi prochain à la foire Saint-Romain avec Monseigneur. C’est moins loin, moins long et moins cher.
Mon fameux tricot est fini. Il me va admirablement et ne manque pas de cachet.
Nous avons hier dîné à l’Hôtel-Dieu sans aucune compagnie que les maîtres de la maison.
Voilà, mon pauvre loulou, toutes les nouvelles. Il me reste maintenant à te remercier pour ta charmante lettre de ce matin, laquelle m’a donné envie de te couvrir de bécots. Pourquoi ne lis-tu plus de choses sérieuses ? C’est ainsi que peu à peu on s’enfonce dans l’abjection ! Tu as cependant assez emporté de livres. Mets-toi à ce bon Froissart, ça t’amusera.
J’oubliais deux choses : 1o Mme Fortin a disposé de son toutou ; 2o Monseigneur m’a dit que Don Dick d’Arrah était devenu d’une moralité suspecte. Il est un peu filou. Quelle désillusion !
3o Fait important : l’amour d’horloger a comparu jeudi, à Croisset, avec le bras en écharpe. Le pauvre chéri a cuydé se casser la gueule en tombant d’un escabeau sur lequel il était juché pour remonter une pendule : il y a eu échappement de sa personne par terre.
Adieu, chère Caro. Embrasse ton mari pour moi.