Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0942

Louis Conard (Volume 5p. 336-337).

942. À MADAME JULES SANDEAU.
[Croisset] samedi [novembre 1867].

Si je vous écrivais chaque fois que je pense à vous, je me ruinerais en timbres-poste. Comment d’ailleurs ne songerais-je pas à votre jolie mine, puisque je l’ai là, devant moi, clouée sur mon armoire aux pipes ! Je voudrais bien la voir en nature. C’est tout ce que j’ai à vous dire.

Que faites-vous ? Que lisez-vous ? etc. Et votre cher fils ?

Vous devez être maintenant revenue à l’Institut ?

Comment va Madame Plessy ? On m’a conté qu’elle était ou avait été très malade.

Quant à votre ami, il espère, à la fin de janvier, avoir terminé la seconde partie de son roman. Comme il m’embête ! Comme il m’embête ! Après celui-là, bonsoir ! Je dirai adieu aux bourgeois pour le reste de mes jours.

J’oubliais de vous remercier de votre dernière lettre qui était ravissante. Le mot est bien usé, n’importe ! Ici, je le maintiens bon. Pourquoi est-on si attaché à vous ?

Une de vos prédilections m’est revenue à la pensée, dernièrement, en lisant, dans le dernier volume de Michelet, son jugement sur Rousseau. Ce jugement-là (qui est le mien et que, par conséquent, j’admire) a dû vous choquer. Car vous aimez ce vieux drôle, autrement vous ne seriez pas femme. À toutes les objections que l’on fait contre lui, on vous répond qu’il avait « tant de cœur ! » moi aussi, j’en ai, mais je n’ai pas précisément toutes ses habitudes, ni sa descente[1] — ni son style, hélas !

Nous ne nous sommes pas vus depuis que votre ami Feuillet a publié Camors. Je trouve cela très remarquable. Jamais il n’a si bien fait.

Et votre époux ? « a-t-il quelque chose sur le chantier » ?

Je voudrais bien produire une œuvre qui vous enchantât, car vous êtes une des personnes dont j’estime le plus le goût — malgré votre voisinage de l’Académie.

Envoyez-moi quelquefois de votre écriture.

Je vous baise les deux mains aussi longtemps que vous le permettrez.


  1. Hernie.