Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0936
C’est bien aimable à vous, Princesse, de me donner de vos nouvelles. J’irai du reste en chercher moi-même, dans une huitaine de jours, à la fin de la semaine prochaine, et (quoi que vous en disiez) Paris ne me semblera pas « traître », puisque je vous y verrai.
Je partage vos ennuis politiques. Ces affaires d’Italie[1] sont déplorables ! Comment tout cela finira-t-il !
Je vous remercie de me donner des nouvelles de l’ami Sainte-Beuve et je suis bien content de savoir qu’il va mieux. J’ai eu dernièrement un mal de paupières fort désagréable ; cela venait de l’excès de fumée qu’il y avait dans mon cabinet, — fumée causée par les grands vents. Mais je suis guéri et mes yeux seront nets pour regarder la Princesse.
Je vous plains beaucoup d’être dérangée par la maçonnerie. Il n’y a pas que les grands malheurs pour nous affliger ; les petits tourments aussi sont terribles par leur permanence et leur quantité. Moi, je redoute plus le grincement d’une porte que la trahison d’un ami. Il est vrai que je suis un malade, un écorché ; ma grosse enveloppe de gendarme est menteuse. Vous voyez bien que je parle de moi comme une femmelette !
Non ! le travail n’absorbe pas toujours ; mais il occupe, et c’est beaucoup.
Cependant la vie s’écoule, c’est là l’important. Vivre dans une tour d’ivoire est d’ailleurs un excellent moyen de ne pas se salir les pieds. Je gèle un peu dans la mienne, par moments.
C’est pourquoi, jeudi ou vendredi prochain, j’aurai l’honneur, Princesse, et le plaisir de vous baiser les deux mains et de vous assurer une fois de plus que je suis
- ↑ Intervention de la France en faveur du Gouvernement pontifical pour garantir le territoire du Saint-Père contre toute agression de l’Italie, en vertu de la convention du 15 septembre 1864 conclue entre Napoléon III et Victor-Emmanuel.