Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0912

Louis Conard (Volume 5p. 298-299).

912. À GEORGE SAND.
[Paris, mai 1867].

Je m’ennuie de ne pas avoir de vos nouvelles, chère maître. Que devenez-vous ? Quand vous reverrai-je ?

Mon voyage à Nohant est manqué. Voici pourquoi. Ma mère a eu, il y a huit jours, une petite attaque. Il n’en reste rien, mais cela peut recommencer. Elle s’ennuie de moi et je vais hâter mon retour à Croisset. Si elle va bien vers le mois d’août et que je sois sans inquiétude, pas n’est besoin de vous dire que je me précipiterai vers vos pénates.

En fait de nouvelles, Sainte-Beuve me paraît gravement malade et Bouilhet vient d’être nommé bibliothécaire à Rouen.

Depuis que les bruits de guerre se calment, on me semble un peu moins idiot. L’écœurement que la lâcheté publique me causait s’apaise.

J’ai été deux fois à l’Exposition ; cela est écrasant. Il y a des choses splendides et extra-curieuses. Mais l’homme n’est pas fait pour avaler l’infini ; il faudrait savoir toutes les sciences et tous les arts pour s’intéresser à tout ce qu’on voit dans le Champ de Mars. N’importe, quelqu’un qui aurait à soi trois mois entiers et qui viendrait là tous les matins prendre des notes s’épargnerait par la suite bien des lectures et bien des voyages.

On se sent là très loin de Paris, dans un monde nouveau et laid, un monde énorme qui est peut-être celui de l’avenir. La première fois que j’y ai déjeuné, j’ai pensé tout le temps à l’Amérique et j’avais envie de parler nègre.