Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 5/0847

Louis Conard (Volume 5p. 213-214).

847. À SA NIÈCE CAROLINE.
Paris, dimanche matin [13 mai 1866].

Je suis bien content de savoir qu’à mon retour je te trouverai à Croisset, ma chère Caro. Cela adoucira les commencements de ma solitude.

Je n’ai pas grand’chose de bien intéressant à te narrer. Voilà à peu près un mois que je n’ai écrit une ligne, étant tout occupé par la lecture des journaux de l’année 1847. J’en ai avalé, avant-hier, pendant sept heures et demie ! Il n’y a pas de travail plus abrutissant et plus irritant que celui-là ! Je touche à la fin, dieu merci !

Je voulais aller entendre Don Juan au Lyrique, mais je n’en aurai pas le temps probablement, et je reviendrai sans avoir, de tout l’hiver, mis le pied dans une salle de spectacle. J’ai passé une heure à l’Exposition ; j’y retournerai avec Monseigneur, mardi, pour l’acquit de ma conscience, car il n’y a rien de bien remarquable. Ledit Monseigneur est maintenant couché dans mon lit et lit le Louis XV du père Michelet, que je t’apporterai. J’attends mes visiteurs du dimanche, et il est 9 heures du matin ! Depuis quelque temps, je me mets à la besogne dès cette heure-là ! Bref, je mène la « vie brûlante ». J’ai eu hier pour 19 fr. 50 de voitures. Nous avons hier dîné chez Charles-Edmond ; aujourd’hui nous dînons chez Mme Husson, et jeudi prochain chez le philosophe Baudry. Nous travaillerons toute la journée et toute la soirée de demain et mercredi. Voilà mon existence dans les plus grands détails, mon cher bibi.

J’ai bien envie de faire la connaissance de M. Joujou[1]. Embrasse-le pour moi ainsi que le reste de la famille, et garde les meilleurs bécots pour toi.

Ton vieux bonhomme d’oncle.

  1. Un petit chien havanais.